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samedi 11 janvier 2014

Inverno, Hélène Frappat

Dans le lit d’une chambre d’un immeuble d’on ne sait  où, deux agents appelés par le concierge découvrent deux corps allongés dans un lit: 
 Lorsque le cadavre de la femme sera transporté  sur une civière hors de la chambre,  l’homme, toujours prostré au bord du lit, n’aura pas un regard pour celle dont il a rendu le visage méconnaissable.

Ainsi commence ce court récit  de 140 pages (mais le format est si étroit  que j’ai eu l’impression de n’en lire que la moitié). 
Il me semblait  après ces lignes qu’il allait s’agir d’un roman policier ou presque. Pas du tout!  Comment dire? Ce sont des histoires de vie que chacun se ressasse, en voyage, entre deux destinations, deux parties de sa vie, un moment de rupture, de passage, de transition, un retour sur soi et sur  l’amie qu’on va revoir, des bribes de passé qui reviennent, mélancoliques. 

Il y est question de L et de son petit garçon, de retour de Rome où ils ont abandonné le "mari et père", trop inconstant. Désormais ils se sont  installés en banlieue parisienne, à Saint-Ouen et puis il y a Emmanuelle, l’amie d’enfance et de jeunesse, devenue sage-femme libérale, qui les a invités dans la maison de son enfance, en Bretagne,dans la presqu'île de Crozon. Elles ne se sont pas revues depuis vingt ans alors dans le train les souvenirs reviennent, forcément, de façon désordonnée, par à coups,  comme dans la vie. 
Enfin, Bérangère! C’est le personnage le plus haut en couleur, le plus attachant aussi, la mère d’Emmanuelle, élevée de façon rigide dans une famille de la grande bourgeoise, puis dans la Maison d’éducation de la Légion d’Honneur, mariée très jeune à Jean, le père d’Emmanuelle, à la suite d’une escapade de pensionnaire inconsciente.  Celui-ci la poursuivra sans cesse d’une jalousie maladive mais c’est une rebelle et elle se vengera à sa façon dans les voyages en  train entre Paris et la Bretagne avant de divorcer finalement et d’élever seule sa fille. Le père se remariera et Emmanuelle ira régulièrement le voir en prison. Ah, oui, le début! 
Ceci ressemble à un résumé mais ce n’en est pas un.  C’est juste un essai de reconstitution comme quand on regarde un dessin cubiste. Il faut bien essayer de comprendre – au moins un peu! Enfin moi, j’en ai eu besoin. Cette fois ça n’a pas été simple car loin d’être linéaire, il s’agit d’un récit éclaté. On va on vient, on avance, on recule. On voyage en somme, du passé au présent puis  de nouveau,  retour en arrière. On s’arrête sur un épisode puis on repart,  ailleurs,  avec un nouveau personnage, un autre lieu, un moment plus proche ou plus lointain, au gré des souvenirs. C’est comme une errance, poétique, mélancolique, nostalgique, une vie, deux vies, trois destins emmêlés que l’on ranime un peu avant de les aborder à nouveau et de les faire revivre.
Il n’y a rien à savoir sur vous-même. Il n’y a rien à savoir. Vous ne savez pas, vous êtes. Vous vous appropriez votre passé; vous vous appropriez ce que vous êtes … Vous vous installez dans l’impossible.
C’est un récit exigeant qui demande beaucoup d’attention. Le style m’a plu, l’effort à fournir un peu moins. 
Pourtant qui a goûté au poison ambigu et douceâtre de la nostalgie sait qu’elle ne nous lâche pas, déplaçant seulement la vague malaise, la jubilation secrète qui l’accompagnent, vers un autre objet, une autre vie, une autre ville. Quelques semaines après son retour définitif à Paris, un soir où la nuit était tombée trop vite, L. se surprit à regretter les crépuscules romains qui s’annoncent par des dégradés roses et jaunes  et l’envol d’étourneaux inquiétant, théâtral. 
Inverno, Hélène Frappat, («Un endroit où aller», Actes Sud, 2011,140 pages)

vendredi 8 novembre 2013

Les prix littéraires? Je ne m'en lasse pas surtout quand ils font rire!


Hier j'ai attendu en vain de savoir qui serait l'heureux élu du prix Beigbeder, dit Prix de Flore Toutes les sources d'actualités auxquelles je me suis abonnée, restaient désespérément muettes. Je ne dois pas avoir les bonnes. La première a donné le renseignement ce matin,  le 8, c'est-à-dire le lendemain,  à  minuit quinze.
C'est donc Monica Sabolo, l'heureuse élue pour   "Tout cela n'a rien à voir avec moi". 
C'est en cherchant à en savoir plus et sur l'auteur et sur son livre que je suis tombée sur le Prix Virilo, (Céline Minard: "Faillir être flingué") et sur le Trop Virilo; (Marie Nimier: "Je suis un homme") et surtout sur la liste qui suit et qui m'a fait bien rire - Merci à l'équipe des lecteurs moustachus  et au 
Journal d'un lecteur qui ont ainsi égayé ma journée. 
  • Le Prix Pilon (dont le ratio (Qualité /Tirage + Couverture Médiatique ) est le plus faible) est remis au très enflé "Naissance", de Yann Moix, ainsi qu’au Prix Renaudot.
  • Nous remettons comme chaque année, un pot de Chrysanthèmes pour Nothomb en attendant qu’elle se décide à écrire un vrai livre.
  • Le Prix Leonarda du récit de voyage galère revient à "L’extraordinaire voyage du Fakir qui était resté coincé dans une armoire IKEA", de Romain Puértolas
  • L’Accessit Amélie Poulain tue des boches revient à "Au revoir là-haut" de Pierre Lemaître, puisque c’est l’exact mélange entre "Micmacs à tire-larigot" et "Un long dimanche de fiançailles".
  • L’Accessit Jean d’Ormesson du titre le plus Jean d’Ormesson revient à Jean d’Ormesson pour "Un jour, je m’en irai sans avoir tout dit".
  • Le Prix Jacques Maillol de l’apnée littéraire revient à "Plonger" de Christophe Ono-dit-Bio.
  • Le Prix Grazia de la ficelle trop grosse, est remis à Monica Sablou, pour "Tout cela n’a rien à voir avec moi", qui met en scène une certaine "Monica S."
  • Le Prix de la "bibliothèque rose" est remis à "La Récréation", de Frédéric Mitterrand.
  • L’Accessit du titre recherché mais un peu trop revient à "N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures" de Paola Pigani
  • Le prix du Bestseller qui prouve que les critiques ne servent à rien revient à "Billy", d’Anna Gavalda.
  • L'Accessit du titre qui nous promet du Bruce Willis mais nous cache en fait du Louis Garrel revient à Tristan Garcia pour "Faber, le destructeur".
  • L’Accessit Truman qui capote (du roman d’investigation tout pourri) revient à Amanda Sthers pour ses "Erections américaines".
  • L’accessit Coitus Interruptus de la posture demi-molle revient à Nicolas Bedos, pour son livre et son œuvre.
J'aime particulièrement ce dernier! :)
Allez, Basta! Fini de m'amuser!  Retour au sérieux et à une journée bien  maussade et bien  pluvieuse! Que ne puis-je retourner sous la couette pour y lire un de ces gros romans qui me faisaient oublier la triste réalité et me baladaient à travers le monde, ses joies et ses dangers ... comme au temps de mon adolescence!... 

lundi 2 septembre 2013

La nostalgie heureuse d' Amélie Nothomb,

Voilà enfin entamée ma rentrée littéraire, avec bonheur, sourire attendri aux lèvres et indulgence au cœur comme toujours avec le dernier ouvrage d’Amélie Nothomb.  Je ne résiste pas, c’est le premier achat en librairie que je m’accorde d’emblée, sans même avoir lu les critiques à son sujet. Ce livre, je le veux  tout neuf, tout beau, tout propre, immaculé, comme un nouveau pays à découvrir et je le lis d’une traite mais le plus lentement possible, car c’est encore une fois  mon seul reproche : trop court, c’est toujours trop court!
Cette fois, c’est  d’un voyage souvenir au Japon à l’occasion d’un reportage dont il s’agit . Elle y retourne après bien des années et y retrouve entre autres les deux êtres les plus marquants de ses séjours là-bas: son amoureux et sa très chère nourrice, Nishio-san, sa deuxième mère, seule et âgée désormais, et c’est un passage très réussi à l’émotion intense mais comme toujours, très maîtrisée.  N’empêche la larme à l’œil n’est pas loin quand elles se séparent définitivement cette fois, elles le savent bien:
    Nishio-san se raidit. Elle salue poliment les gens de l’équipe qui sortent tous, me laissant seule dans l’appartement avec la femme cruciale. Alors elle devient convulsive, me prend les poignets puis m’étreint, puis me reprend les poignets. Ses yeux tragiques parlent une langue insoutenable.
Il y a une heure, je pensais que les retrouvailles, ce devrait être interdit. A présent, je pense que les séparations devraient l’être également. Je suis en train de transgresser ces deux tabous concomitants à une heure d’intervalle. Ma seule excuse, c’est que j’en ignorais l’essence tragique.Nishio-san et moi tremblons comme des réacteurs. Elle dit qu’elle a honte, je dis que j’ai honte. Je me surprends à penser  que je voudrais ne plus être ici. Il y a trop de souffrance. Je voudrais que l’arrachement soit accompli. A cinq ans, j’étais plus forte.
Une ultime fois j’étreins la femme sacrée.
L’autre belle rencontre, plus légère celle-là, pleine de crainte et d’humour, c’ est celle de Rinri, le fiancé abandonné de ses vingt ans. 
Après une crainte panique d’être en retard au rendez-vous, puis de ne pas le reconnaître, enfin de ne pas  être en état de rencontrer (…) le premier garçon qui m’a donné confiance en moi, les retrouvailles sont idylliques et douces. Marié, avec enfants et à la tête d’une entreprise florissante, Rinri est un homme heureux et le dîner, une réussite – indicible mais Amélie est si troublée qu’elle en perd le nom de son poète préféré.
 J’ai aimé aussi le portrait de sa traductrice:  l’admirable Corinne Quentin, l’interprète français-japonais la plus connue de Tokyo ... qui déborde d’enthousiasme et lui apprend le vrai sens du mot nostalgie au Japon:   l’instant où le beau souvenir revient à la mémoire et l’emplit de douceur.
 A la question de savoir si la madeleine de Proust est nostalgique ou natsukashii, elle penche pour la deuxième option. Proust est un auteur nippon. 
J'ai aimé bien d'autres passages encore: la  visite à son école,  celle aux cerisiers en fleurs,  le survol de l'Himalaya et toujours cet humour à ses dépens car elle ne s'aime pas, Amélie,  elle voudrait être une autre. 
C'est d'autant plus terrible que je cherche toujours à bien me conduire. Je ne suis pas quelqu'un qui se laisse aller ou qui s'en fiche.
Mais la voici dans le taxi, à Tokyo, en route vers son rendez-vous  avec Rinri:
Sur la banquette arrière, il transporte une Occidentale aux yeux écarquillés qui ressemble à un volatile hypertendu et cela ne l'affecte pas le moins du monde.
Allons, ma rentrée ne  commence pas si mal! 
 Challenge Rentrée littéraire 2013, n°1

D'autres avis :  Ici,  Là,  (argali),  et là , (Hérisson),  et puis Cynthia, enfin une interview,

vendredi 8 mars 2013

L'herbe des nuits, Patrick Modiano


On le sait d’avance: un roman de Modiano, c’est un anti-thriller par excellence. C’est particulièrement vrai dans son dernier livre,  L’herbe des nuits. L’héroïne est probablement une criminelle. On s’en doute et le narrateur aussi. Elle le lui a  suggéré un soir: Qu’est-ce que tu dirais si j’avais tué quelqu’un?  quitte à lui  dire ensuite  que ce n’était qu’un rêve. Il a cependant  été convoqué à ce sujet, quai de Gesvres, aux renseignements généraux.   En réalité on s’en moque un peu de connaître la vérité. L’intérêt du récit n’est pas là. Comme toujours, bien plus qu’ une enquête, c’est une quête que Modiano poursuit dans son Paris perdu des années soixante, quête de soi, de ses souvenirs de jeunesse, des traces d'une  personne aimée et perdue. 
Le titre, L'herbe des nuits, c'est un vers de poète: 
Et, la chaux dans le sang, rassembler pour les tribus 
Etrangères l'herbe des nuits. Ossip Mandelstam)
C'est aussi ces déambulations lentes et infinies dans les rues de Paris, la nuit, de cafés glauques en chambres de passage, le long d'avenues désertes et froides près des murs de prison ou de jardins fermés. 
Cette fois, la jeune femme aimée mais fuyante, aux multiples identités, au passé trouble et aux fréquentations dangereuses, s'appelle Dannie. Elle est très jeune et Jean, le narrateur encore plus. Leur présent est celui de la Cité universitaire où ils se rencontrent car ils se veulent étudiants mais c'est surtout celui des habitués d'un bar  de Montparnasse où se retrouve une bande louche liée à la politique post coloniale d'alors.  Tous les noms sont écrits dans un petit carnet noir retrouvé cinquante ans après et qui lui sert de guide mémoire.

Comme toujours avec Modiano, le temps  s'est aboli en lisant ce livre  et  peu importe l'intrigue,  j'ai retrouvé le même plaisir de "flotter dans l'air de Paris",  sans  famille,  sans milieu social et sans passé bien défini et c'est encore une fois très agréable.   
Il m'aura fallu presque une vie entière pour revenir à mon point de départ. (p.58)
Pourtant je n'ai pas rêvé . ...Sur les pages du carnet se succèdent des noms, des numéros de téléphone, des dates de rendez-vous, et aussi des textes courts qui ont peut-être quelque chose à voir avec la littérature. Mais dans quelle catégorie les placer? journal intime? fragments de mémoire?
Bien sûr de nombreux signaux se sont brouillés, et vous avez beau tendre l'oreille, ils se perdent pour toujours. Mais quelques noms se détachent avec netteté dans le silence et sur la page blanche...Dannie, Paul Chastagnier, Aghamouri, Duwelz, Gérard Marciano, "Georges", l'Unic Hôtel, rue du Montparnasse. Si je me souviens bien, j'étais toujours sur le qui-vive dans ce quartier. (p.11/12)
L'herbe des nuits, Patrick Modiano (Gallimard, octobre 2012)