dimanche 29 mai 2011

La marche à l'amour de Gaston Miron

La marche à l'amour

Tu as les yeux pers des champs de rosées
tu as des yeux d'aventure et d'années-lumière
la douceur du fond des brises au mois de mai
dans les accompagnements de ma vie en friche
avec cette chaleur d'oiseau à ton corps craintif
moi qui suis charpente et beaucoup de fardoches
moi je fonce à vive allure et entêté d'avenir
la tête en bas comme un bison dans son destin
la blancheur des nénuphars s'élève jusqu'à ton cou
pour la conjuration de mes manitous maléfiques
moi qui ai des yeux où ciel et mer s'influencent
pour la réverbération de ta mort lointaine
avec cette tache errante de chevreuil que tu as

tu viendras tout ensoleillée d'existence
la bouche envahie par la fraîcheur des herbes
le corps mûri par les jardins oubliés
où tes seins sont devenus des envoûtements
tu te lèves, tu es l'aube dans mes bras
où tu changes comme les saisons
je te prendrai marcheur d'un pays d'haleine
à bout de misères et à bout de démesures
je veux te faire aimer la vie notre vie
t'aimer fou de racines à feuilles et grave
de jour en jour à travers nuits et gués
de moellons nos vertus silencieuses
je finirai bien par te rencontrer quelque part
bon dieu!
et contre tout ce qui me rend absent et douloureux
par le mince regard qui me reste au fond du froid
j'affirme ô mon amour que tu existes
je corrige notre vie
...
je marche à toi, je titube à toi, je meurs de toi
lentement je m'affale de tout mon long dans l'âme
je marche à toi, je titube à toi, je bois
à la gourde vide du sens de la vie
à ces pas semés dans les rues sans nord ni sud
à ces taloches de vent sans queue et sans tête
je n'ai plus de visage pour l'amour
je n'ai plus de visage pour rien de rien
parfois je m'assois par pitié de moi
j'ouvre mes bras à la croix des sommeils
mon corps est un dernier réseau de tics amoureux
avec à mes doigts les ficelles des souvenirs perdus
je n'attends pas à demain je t'attends
je n'attends pas la fin du monde je t'attends
dégagé de la fausse auréole de ma vie

Gaston Miron, (1928-1996), poète canadien, est encore aujourd'hui considéré comme le plus grand poète du Québec contemporain. L'Homme Rapaillé, les poèmes, (nrf, Gallimard, 1999)
* Rapaillé,  Au Québec, rassembler des objets éparpillés, (Fam.) 

22 commentaires:

  1. Il y a des trésors chez nos amis canadiens ! je ne connaissais pas, c'est un très beau texte pour commencer la journée d'un bon pied. Merci Mango.

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  2. Aifelle, quand j'ai vu le livre exposé à la bibliothèque, je n'ai pas hésité et je ne regrette pas car je n'ai eu que l'embarras du choix. Presque tous les poèmes me plaisaient. J'ai choisi finalement un des préférés et des plus connus des Canadiens.

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  3. ne très jolie langue mais j'ai un peu tendance à me méfier des poèmes d'amour aussi beaux soient-ils!:)

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  4. cathulu, Je comprends ta méfiance à leur égard et cependant,rien à faire, c'est encore ces poèmes-là que je préfère!

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  5. Il est beau ce poème, je vais l'imprimer. J'ai une amie qui les accroche un peu partout chez elle, et celui-ci, il va finir sur ses murs, c'est certain.

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  6. J'adooore!
    "tu te lèves, tu es l'aube dans mes bras"... "je marche à toi, je titube à toi, je meurs de toi"...
    Un livre que je vais me faire le plaisir d'acheter dès que possible.
    Merci Mango et très belle journée

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  7. Je ne connaissais pas. C'est magnifique !

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  8. J'ai découvert ce poème récemmment et je le trouve magnifique ! Je ne connais pas les autres poèmes du recueils mais il faudra que je pense à la lire... Et puis il faut que je me renseigne sur cet auteur car ses poèmes sont liés à des événements politiques des années 70...

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  9. Beau texte...
    Je te souhaite un bon dimanche !
    Moka

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  10. Boire à la gourde vide du sens de la vie : l'expression est un peu désenchantée mais très belle

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  11. ce poème me fait encore apprendre des nouveaux termes comme les yeux pers (qui désigne une couleur) il doit aussi y avoir des expressions du Québec.
    Merci pour cette découverte !

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  12. Extra-ordinaire ! J'aime beaucoup l'inattendu de toutes ces images. D'ailleurs, je m'autorise un copié/collé et hop dans mes favoris ! (enfin, si tu n'y vois pas d'inconvénient ?)

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  13. dimitri, c'est réellement un très beau poème.

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  14. Kenza, il y en plein d'autres aussi réussis.

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  15. Irrégulière, Je viens de découvrir cet auteur grâce à ce recueil de poèmes.

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  16. maggie, tu le connaissais déjà. Je suis contente d'avoir lu ce livre très riche. C'est un grand poète.

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  17. Moka, je trouve aussi, Bonne semaine à toi!

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  18. Dominique, désenchanté mais inspiré.

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  19. Didi , oui, il y a plein d'expressions du Québec que je ne comprends pas toujours mais ça ne m'a pas gênée.

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  20. Cagire, au contraire, les poèmes sont faits pour s'envoler le plus possible.

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  21. Ah Gaston Miron!
    Je conserve précieusement la première édition de L'homme rapaillé, livre auquel on reviens sans cesse, écorné... et des souvenirs de rencontres, de fêtes. Une entre autres où, il y a plus d'un quart de siècle, chez Victor-Lévy Beaulieu, il avait sorti son ruine-babines (son harmonica) et en avait joué en dansant sur la table!
    Ça ne s'oublie pas ni les mots magnifiques de La marche à l'amour!

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  22. Lali, tu l'as donc bien connu... quelle chance! Ces livres écornés sont les plus attachants.

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