mercredi 30 décembre 2009

Dans le café de la jeunesse perdue de Patrick Modiano


A Paris, dans les années soixante, les habitués du Condé, un café proche de l’Odéon,  dans le quartier latin,  se retrouvent  régulièrement pour boire, parler, se taire, combler leur solitude. Ce sont pour la plupart de vagues étudiants, des excentriques, des solitaires, des rêveurs.  Parmi eux s’est glissée une jeune femme qu’ils ont aussitôt prénommée Louki,  sans se préoccuper de son identité véritable ni des raisons qui l’amènent là.  C’est elle l’héroïne de ce récit à quatre voix. Elle qui a fini par se défenestrer,  ce que l’on devine assez vite car sa principale caractéristique tient à sa manie de disparaître, comme ça,  du jour au lendemain,  sans avertir et sans jamais revenir,  pour s’installer ailleurs,  silencieusement,  comme pour mieux s’effacer.
  Dans le premier chapitre, c’est un étudiant de l’Ecole des Mines toute proche qui  nous la présente au milieu des autres habitués. On apprend qu’elle s’appelle Jacqueline Delanque,  élevée à Pigalle par sa mère,  ouvreuse au Moulin-Rouge,  qu’elle a laissé un mot à Roland,  un jeune écrivain,  à peine rencontré,  auquel elle a fixé rendez-vous,  à cinq heures, dans ce café où il n’est pas venu.
 Dans le second chapitre, on découvre qu’elle a disparu  du domicile conjugal et c’est alors Caisley,  le détective choisi par le mari,  qui raconte des détails sur son enfance à Pigalle,
C’est Louki elle-même,  devenue la narratrice du troisième chapitre,  qui évoque les hommes qui l’ont aimée,  son mari puis Roland l’écrivain et quelques autres mais elle  est arrivée à ne plus se sentir que  « Jacqueline du Néant ».
Enfin, dans le dernier chapitre,  la clé de l’énigme semblerait devoir appartenir au dernier amoureux,  Roland,  spécialiste du mythe de l’éternel retour.  Ils aiment déambuler  ensemble dans Paris et semblent heureux  mais elle lui échappe comme aux autres et,  cette fois,  c’est définitif !

Parce que je n’avais pas aimé « Rue des boutiques obscures »,  Goncourt 1978,  je croyais ne pas aimer Modiano mais c’était juger trop vite! En réalité je ne me suis pas ennuyée en lisant ce récit. Au contraire!  Je suis tombée sous le charme de la narration à plusieurs voix,  de l’écriture souple,  poétique et minutieuse et de la personnalité si fragile et évanescente de Louki  qui séduit sans jamais pouvoir s’attacher elle-même, éternelle solitaire et  éternelle  vagabonde. Elle m’a parfois fait penser à la Nadja de Breton, mystérieuse et inaccessible comme elle !

Le titre est expliqué par cette phrase de  Guy Debord,  placée en exergue:  « A la moitié du chemin de la vraie vie, nous étions environnés d’une sombre mélancolie, qu’ont exprimée tant de mots railleurs et tristes, dans le café de la jeunesse perdue. » 

La première phrase est celle-ci : « Des deux entrées du café, elle empruntait toujours la plus étroite, celle qu’on appelait la porte de l’ombre »

Je retiendrai aussi une des remarques finales de Romain,  l’écrivain  et le dernier amoureux : « Encore aujourd’hui, il m’arrive d’entendre, le soir, une voix qui m’appelle par mon prénom, dans la rue. Une voix rauque. Elle traîne un peu sur les syllabes et je la reconnais tout de suite : la voix de Louki. Je me retourne, mais il n’y a personne. Pas seulement le soir, mais au creux de ces après-midi d’été où vous ne savez plus très bien en quelle année vous êtes. Tout va recommencer comme avant. Les mêmes jours, les mêmes nuits, les mêmes lieux, les mêmes rencontres. L’Eternel retour. »

Patrick Modiano est né en 1945 d’un père italien et d’une mère belge et comédienne. Raymond Queneau,  son professeur de géométrie,  le pousse à écrire. En 1973 il écrit le scénario du film de Louis Malle : «  Lucien Lacombe », sur la période de l’occupation.

Dans le café de la jeunesse perdue de Patrick Modiano (Folio, Gallimard, 2008, 160 pages)

32 commentaires:

  1. J'ai lu tous les premiers Modiano auxquels j'ai trouvé beaucoup de charme. Et puis je me suis lassée. J'ai voulu reprendre il y a quelque temps avec "accident nocturne" et je me suis ennuyée. Je ne suis pas trop prête à refaire une tentative.

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  2. J'ai aimé celui que tu n'as pas aimé. Enfin aimé, apprécié. Disons que c'est un exploit pour moi qui n'aime pas trop la littérature française. Mais cela ne m'a pas donné envie d'aller plus loin.

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  3. Je vais relire du Modiano, ton billet m'en donne l'envie, merci.

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  4. Je n'ai jamais lu Modiano et ton commentaire me donne bien envie de le découvrir avec ce roman là!

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  5. J'étais moi aussi tombée sous le charme de cette narration.

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  6. Modiano c'est mon autour choucou mais je dirais même doudou :)

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  7. Aifelle, peut-être ne convient-il qu'à petite dose!

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  8. Manu, actuellement, parmi les auteurs français, qui ne me plaisent pas trop non plus, il est un de ceux que je lirais encore le plus volontiers!

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  9. mirontaine, je ne le connais pas tellement bien encore, je vais continuer à lire d'autres livres de lui quand j'en aurai l'occasion!

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  10. yoshi, ce livre m'a bien plu et je souhaite qu'il en soit de même pour toi!

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  11. Brize, il écrit bien, c'est sûr et son style est bien reconnaissable!

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  12. Moka, je te souhaite une bonne lecture alors quand tu t'y mettras!

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  13. celsmoon, vive ton autour choucou, choubidoubidou!! :))

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  14. Je l'ai lu il y a quelques mois et j'avais bien aimé moi aussi ! :))
    Mais généralement j'aime bien son style. ;)

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  15. Je pense que c'est le modiano que je veux le plus lire... juste le titre rejoint mon petit côté nostalgique!

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  16. Modiano ne m'attire guère! Sa plume me semble un brin... je ne sais pas en fait, je me suis toujours dit que ce n'est pas un auteur pour moi!

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  17. Toujours pas lu cet auteur mais tu m'y pousses. A chaque fois, je pense à la belle chanson de Delerm.

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  18. Moi qui ai tant lu et tant aimé Modiano autrefois au point d'avoir dans mon bureau une affiche laminée le représentant, je me rends compte que je l'ai beaucoup négligé et qu'il me faut le retrouver!

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  19. leiloona, finalement je l'aime plutôt bien , contrairement à ce que je pensais!

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  20. karine :) j'aime beaucoup le titre aussi qui annonce bien l'atmosphère du récit.

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  21. chiffonnette, comme toi, je n'étais pas attirée par l'auteur et j'ai un peu choisi ce livre au hasard à la bibliothèque mais j'ai eu une très bonne surprise: ce qui pourrait t'arriver aussi! :) Il est pour tout le monde, pas du tout hermétique!

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  22. Theoma, il est en passe de devenir un auteur culte! :)

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  23. Lali, il est si effacé lui-même qu'on a tendance à l'oublier et c'est dommage mais tu sembles cependant bien le connaître et l'aimer beaucoup!

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  24. Il est sur ma PAL et je compte l'en sortir très bientôt !

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  25. Stephie, tu as raison, je trouve qu'il en vaut la peine!

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  26. Arf moi ça été le contraire ! J'ai beaucoup aimé "Rue des boutiques obscures" et j'ai été très déçue par "Dans le café de la jeunesse perdue" !

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  27. Un roman que je n'ai pas apprécié plus que ça.

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  28. Hathaway, ça ne m'étonne pas! Je crois qu'aimer ou pas tel ou tel livre de cet auteur tient aussi beaucoup de son propre état d'esprit au moment où on le lit! Plus que pour un autre romancier, je trouve!

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  29. Alex, ça ne m'étonne, car il a un ton bien particulier qui peut parfois agacer, je crois!

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  30. Pour l'instant c'est le seul Modiano que j'ai lu mais j'avais peur que tous ses livres se ressemblent un peu... Je vais peut-être essayer dans lire un autre un de ses jours :-)

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  31. LN, je ne peux rien te garantir, n'ayant pas lu non plus suffisamment de livres de lui, mais celui-ci est un livre attachant, avec un vrai style et une touche bien à lui!

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