Voilà une biographie comme je les aime, bien écrite, détaillée mais évitant la lourdeur d’une érudition trop affichée. On sent que la biographe comprend intimement et respecte à la fois la femme et l’écrivain en Virginia Woolf.
Pour mieux nous rendre vivante Virginia Woolf, née Stephen, cette romancière anglaise féministe de la bonne société anglaise, (1882-1941), Viviane Forrester choisit comme parti pris de séparer très nettement la vie de la jeune femme de celle de son mari Léonard Woolf (1880-1969) dont l’influence fut sans aucun doute prépondérante mais qui prit trop d’importance dans les autres biographies, dont celle de son neveu Quentin Bell, le fils de sa sœur chérie Vanessa, parue en 1972.
Les 112 premières pages sont donc consacrées à Léonard Woolf en insistant sur sa vie d’administrateur colonial malheureux aux Indes, à Ceylan, et sur les 25 années qui suivirent le suicide de sa femme, en 1941, pendant lesquelles il partagea en partie la vie d’une jeune dessinatrice de 20 ans plus jeune qui continua cependant de vivre le week end avec son mari.
Viviane Forrester insiste sur trois aspects de Léonard Woolf
Tout d’abord, il était à Cambridge avec les frères de Virginia, l’aîné Thoby , si brillant, si séduisant mais qui mourut trop jeune et Adrian, le benjamin, dont la jeune femme Tracy, psychanalyste comme lui, se suicida après sa mort. Avec d’autres étudiants, (Lytton Strachey, Clive Bell, le premier mari de Vanessa Stephen, Saxon Sydney-Turner, Duncan Grant, le grand amour de Vanessa par la suite et de bien d’autres), ils formèrent le Bloomsbury Group, un cercle d’intellectuels très influents. Il fut heureux de rejoindre ce groupe grâce à son mariage, après une dizaine d’années où il souffrit terriblement de solitude loin de l’Angleterre. Virginia, elle, belle mais désespérément célibataire, fut ravie de se voir ainsi demandée en mariage ! Certains prétendent que celui-ci ne fut pas consommé en raison de la frigidité de Virginia et d’un certain dégoût du corps des femmes qu’aurait éprouvé Léonard. En 1917, ils fondèrent la maison d’édition « Hogart Press ».
Ensuite, il était juif dans un milieu antisémite. Virginia l’appelait « le juif sans le sou » mais son attitude changea avec la prise de conscience du nazisme. Cependant jamais elle ne fréquenta sa belle famille. En 1940, figurant tous deux sur la liste noire hitlérienne, ils décidèrent de s’asphyxier ensemble au cas où les nazis débarqueraient en Angleterre.
Enfin, c’est lui qui, pour mieux la protéger et l’encadrer, a créé et entretenu le mythe de la folie de sa femme. Il l’a toujours présentée comme un génie littéraire mais aussi comme une femme excentrique, naïve, folle, mythomane, frigide, tandis que lui-même s’est voulu sérieux, stable, protecteur mais sexuellement sacrifié aux inhibitions de sa femme. En réalité, elle n’eut que deux véritables épisodes de dépression, tous deux proches de son mariage et de la mort de ses parents.
C’est pourquoi il faut discerner la légende de Léonard de la vérité de Virginia, livrée à elle-même, dans sa solitude, loin de l’influence de son mari, en proie à ses souvenirs douloureux et à son passé plus traumatisant qu’il n’y paraît..
Ceci bien expliqué par l’auteur, la vie de Virginia est alors divisée en trois parties selon les grandes influences qui sont toutes liées à de lourds traumatismes. Son enfance fut apparemment heureuse et privilégiée au sein d’une famille bourgeoise, artiste et cultivée mais recomposée avec plusieurs enfants. Elle souffrira de la mort précoce de ses deux demi sœurs puis de son frère aîné qu’elle chérissait, de sa mère morte très tôt de la grippe, de son père enfin, écrivain et éditeur lui aussi, devenu si difficile à vivre après la mort de sa femme mais surtout ce dont elle se plaindra le plus, c’est du climat incestueux qu’entretenaient ses deux demi frères plus âgés. Quant à sa sœur aînée, Vanessa, c’est de celle-ci qu' elle fut le plus proche et dont elle ne se sépara jamais vraiment.
Le dernier chapitre est celui que j’ai préféré qui nous présente une femme désormais célèbre, bien secondée par son mari devenu éditeur, très bien entourée par une cour d’amis intellectuels, érudits, critiques, peintres, économistes, tous doués qui eurent une influence capitale en Europe, qui «balayèrent l’ère victorienne et donnèrent l’exemple d’une émancipation intime sans pareille.» Tous vieilliront ensemble jusqu’à la mort en dépit des rivalités amoureuses, des divorces, des ruptures, des jalousies. Ils surent demeurer amis malgré les tragédies qui s’enchaînaient.
Virginia tomba plusieurs fois amoureuses de femmes qui lui inspirèrent de nouveaux personnages comme Orlando. Il y eut tour à tour Katherine Mansfield, Vita Sackville-West et enfin Ethel Smyth, une septuagénaire, suffragette, compositeur et chef d’orchestre.
La rencontre avec Freud, exilé à Londres juste avant la guerre et qui les prit pour éditeurs, n’incita pas Virginia à se faire elle-même analyser. Le 28 mars 1941, craignant à nouveau l’approche d’une crise de folie, elle remplit ses poches de cailloux et se laissa emporter par la rivière voisine. On ne retrouva son corps que plusieurs jours après.
Viviane Forrester est une romancière, membre du jury Femina, qui s’est consacrée à deux artistes très différents : Vincent Van Gogh et Virginia Woolf. C’est pour la vie de cette dernière qu’elle a reçu le Goncourt de la biographie, le 2 juin 2009.
Lire ce volume de 248 pages, avec des photos de famille au milieu, m’a demandé une dizaine de jours. Je ne l’ai pas dévoré, je l'ai dégusté! C’était trop bon ! Maintenant que je viens de le terminer, je n’ai q'u’une envie, c’est de lire Mrs Dalloway, en priorité !
Virginia Woolf, de Viviane Forrester (Albin Michel, février 2009, 348 p)
Je n'ai jamais réussi à lire plus de trois pages de Woolf! Elle fait partie de ces auteurs que je n'arrive pas à aborder encore!
RépondreSupprimerMrs Dalloway, un délice! J'ai de plus en plus envie de lire une bio de cet auteur mais je préférai lire d'autres romans d'elle avant!
RépondreSupprimerAvec une vie pareille, moi aussi j'aurais refusé de passer par Freud^^
RépondreSupprimerJe ne suis pas très portée sur les biographies en général et pourtant celle-ci me tente vraiment bien!
"L'art du roman" est encore en attente dans ma PAL donc je vais essayer de me montrer raisonnable (*tousse*)
chiffonnette, ça viendra! Mrs Dalloway est un livre qui me touche beaucoup mais j'ai aussi quelques auteurs que je n'arrive pas à lire! C'est étrange!
RépondreSupprimerEmilie, c'est aussi un livre que j'ai bien envie de relire! Quelle vie a eu cette romancière! Cette biographie était passionnante!
RépondreSupprimerCynthia, C'est une biographie particulièrement bien écrite et agréable à lire. Tu me donnes l'idée de lire "L'art du roman" dont Keisha a parlé dernièrement!
RépondreSupprimerComme j'ai l'intention de lire cet auteur en 2010 (eh oui) , ajouter une bio à l'ensemble parait parfait!
RépondreSupprimerCette bio me tente, mais je veux d'abord lire d'autres études (et particulièrement celle d'Hermione Lee) sur le sujet, car certaines positions de Viviane Forrester me semblent discutables d'après ce que j'ai pu lire. Mais bon, je la lirai naturellement.
RépondreSupprimerKeisha, bonne résolution: sa vie en soi est déjà un roman!
RépondreSupprimerLilly, en effet,V Forrester annonce d'ailleurs clairement son parti-pris dès le début: elle se méfie de la première biographie, celle influencée par l'époux de Virginia et elle insiste sur le côté familial incestueux qui aurait à jamais marqué les deux sœurs. Elle commence par démasquer le côté dépressif refoulé de Léonard Woolf!
RépondreSupprimerN'oubliez pas "la promenade au phare"(5 € en poche), si vous souhaité comprendre Virginia. Le portrait de Mrs Ramsay est l'un des plus subtils de la littérature anglaise. Celui du mari est inspiré de son père et un peu de Léonard. la peintre et ses réflexions sur la peinture proviennent de l'intimité de V avec sa soeur peintre. AL ;)
RépondreSupprimerC'est agréable lorsque l'on tombe sur une bonne biographie.
RépondreSupprimerAlors là, Mango, ce serait une belle occasion de mieux connaître Virginia Woolf et ses œuvres, en commençant par sa biographie ... Et celle-ci semble très complète et très riche, et doit permettre de mieux comprendre la romancière. Une belle façon de l'aborder !
RépondreSupprimerAnonyme, très juste! On présente souvent ce livre comme son chef d'œuvre. Il est chez moi, en attente: je dois encore le lire!
RépondreSupprimerLilibook, très agréable! J'aime beaucoup les biographies mais c'est vrai aussi qu'elles ne sont pas toujours réussies!
RépondreSupprimerNanne, Virginia Woolf n'est pas toujours facile à lire mais cette biographie permet de mieux la comprendre ! Elle explique bien des choses concernant autant son œuvre que sa vie! C'était une lecture longue mais très agréable!
RépondreSupprimerje suis tentée par celui ci . je le note.
RépondreSupprimerTon billet donne bien envie de se replonger dans l'oeuvre de Virginia (mais je lirai plutôt son journal qu'une biographie)
RépondreSupprimerline, cette biographie a vraiment mérité son prix Goncourt! C'est une lecture très intéressante.
RépondreSupprimerrose, j'ai également très envie maintenant de lire ce fameux journal! J'espère le trouver à la bibliothèque!
RépondreSupprimerPlus ça va et plus je suis tentée par les biographies alors que c'était un genre que je n'aimais pas... Mais celle-ci me parait extrêmement savoureuse !
RépondreSupprimerJe ne suis pas très biographie mais celle-ci a l'air passionnante !
RépondreSupprimerRestling, quand elles sont bien faites, les biographies valent presque les bons romans et me procurent autant de plaisir!
RépondreSupprimerManu, je crois que celle-ci restera un exemple du genre car elle a su éviter tous les écueils qui rendent parfois de telles biographies assez assommantes!
RépondreSupprimerune biographie dont on a beaucoup parlé... j'avais vu également une autre bio sortie chez Autrement et qui me tentait davantage... résultat, je n'en ai lu aucune ! Une cliente de la librairie, m'a dit que celle paru chez Folio biographie était très bien... il va falloir que je choisisse !
RépondreSupprimerJe ne connais pas celle de Folio d'Alexandra Lemasson, ni d'ailleurs celle d'Autrement, donc je ne peux pas juger mais celle de Forrester n'a qu'un seul défaut, c'est qu'elle est longue à lire!
RépondreSupprimerJ'adore Woolf et je cherche une bonne bio depuis un moment. Il semble que celle-ci soit un bon choix; je note.
RépondreSupprimerlewerentz, Je la trouve claire et agréable à lire tout en étant très détaillée.
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