«Mon père se comparait très souvent à François Mitterand. Il n’avait pas d’admiration particulière pour cet homme de gauche, mais une fascination absolue pour le pouvoir et le président en était l’incarnation suprême. Comme lui, il portait donc une écharpe rouge, collectionnait les maîtresses, avait un rond de serviette Chez Lulu, lisait Le Prince de Machiavel et possédait un labrador prénommé Adriatique en tout point semblable à Baltique, la célèbre chienne du chef de l’État. Il n’y avait qu’avec cette bête que mon père était vraiment gentil. Et d’humeur toujours égale.» (Premières lignes)
J’aime bien ce début qui nous présente le héros du roman, ce père d’Élise, la narratrice, qui la hante encore après sept ans de silence total pendant lesquels ils sont devenus étrangers l’un à l’autre.
Elle est mariée à Simon qui, lui, n’aime que les chats.
«Je crois qu’au fond, c’est aussi cela chez lui qui m’a séduite. S’il avait aimé un chien à la place de ce chat, les choses auraient été différentes; s’il avait aimé un chien, je suis certaine que nous n’aurions pas eu d’enfants ensemble.» mais ils ont eu deux fils, d’une dizaine d’années désormais, lorsque sur un coup de fil soudain de son père qui lui demande de venir le rejoindre à Marrakech, elle laisse tomber sa famille, prend la vieille voiture de sa mère décédée et se lance dans un voyage chaotique à travers la France, L’Espagne et le Maroc pendant lequel elle revit ses années passées avec ce père qu’elle déteste.
C’était un tyran domestique, un père castrateur et violent, qui la rabaissait sans cesse et pourtant elle accourt vers lui à son premier appel. Elle écoute aussi les nouvelles du monde pendant ce voyage et elle revit l’histoire de sa famille, père ashkénaze et mère séfarade, celle des grandes tragédies du XXe siècle par là-même.
La grande question naturellement pendant toute la lecture est de savoir les raisons de ce ce genre d'ultimatum lancé par son père et s'ils réussiront à se rapprocher.
J'aurais voulu pouvoir me dire séduite par ce récit. Il a reçu un prix malgré tout! Cependant à part quelques bons passages comme le début, je me suis trop souvent ennuyée pour la simple raison que je n'ai pas cru à cette histoire. Non qu'elle soit invraisemblable, loin de là, mais les personnages manquent de chair. Tout est trop centré sur le ressenti de la jeune femme qui cherche avant tout à combler le manque essentiel de son enfance: l'approbation, l'amour de ce père trop exigeant. Ses fils, si vite abandonnés, ne pèsent pas lourd dans cette histoire.
C'est un livre ambitieux, qui parle aussi bien de généalogie, de transmission, d'hérédité, d'héritage, que d'amour, de trahison, de solitude. La vérité, c'est que je n'ai pas bien compris cette femme, ses choix, ses sentiments, ses priorités. Elle m'est demeurée une énigme. Je ne l'ai pas assez aimée pour souffrir avec elle de ce qui lui arrive et dernière déception: la fin n'a pas été à la hauteur de ce que j'espérais, ce n'était qu'un flop, m'a -t-il semblé. un comble puisque je n'ai poursuivi ma lecture que par curiosité pour le dénouement!
Deux étrangers, Émilie Frèche
(Actes Sud, janvier 2013, roman, 274 p.)Prix Orange du Livre 2013 (Les internautes et le jury du Prix Orange du Livre ont élu Emilie Frèche pour son roman. Le public pouvait voter du 15 mai au 4 juin et choisir parmi les six ouvrages sélectionnés par le jury, présidé par Erik Orsenna et composé d'Arthur Dreyfus, Colombe Schneck, Florian Zeller, Eric Reinhardt, Alain Schmidt, Anne-Sophie Thuard et de huit internautes, sélectionnés sur candidature.)
Emilie Frèche succède à
- Fabrice Humbert (L’Origine de la violence, Le Passage),
- Jacques Gélat (Le Traducteur amoureux, Corti),
- David Thomas (Un Silence de Clairière, Albin Michel)
- Arthur Dreyfus (Belle Famille, Gallimard), respectivement distingués de 2009 à 2012.