mardi 13 mai 2014

Théorème vivant, Cédric Villani, grand parmi les grands.

On me demande souvent à quoi ressemble la vie d'un chercheur, d'un mathématicien, de quoi est fait notre quotidien, comment s'écrit notre œuvre. C'est à cette question que le présent ouvrage tente de répondre. Le récit suit la genèse d'une avancée mathématique, depuis le moment où on décide de se lancer dans l'aventure, jusqu'à celui où l'article annonçant le nouveau résultat - le nouveau théorème - est accepté pour publication dans une revue internationale. Entre ces deux instants, la quête des chercheurs, loin de suivre une trajectoire rectiligne, s'inscrit dans un long chemin tout en rebonds et en méandres, comme il arrive souvent dans la vie. 
Rien ne me disposait à tant aimer ce livre: ni le titre, ni la quatrième de couverture ni  d’apprendre qu’il y était question de recherches mathématiques et encore moins de le savoir écrit par le chercheur lui-même, alors qu’il venait de recevoir la médaille Fields, l’équivalent du prix Nobel pour cette discipline, (Les mathématiques en ayant été écartées par Nobel lui-même pour incartades de sa femme avec un jeune mathématicien, dit-on) 

Quoi qu’il en soit, ce fut une grande lecture jubilatoire, un vrai régal,   très sérieux,  mais optimiste et  plein d’espoir, sur un thème que je ne maîtrise pas et dont je ne parlerai pas   tellement je n’ai rien compris  aux formules mathématiques qui y sont exposées parfois sur des pages entières - de très belles pages d’un point de vue  purement esthétique - mais surtout aucune triche de la part de l’auteur. Ces mois intenses où il travaille jour et nuit pour mettre au point  ses recherches et aboutir enfin à la phase finale de ses efforts,  il les raconte comme  il s’en souvient, avec les petites avancées et les grands flops, les découragements et les moments d’exaltation, le tout mêlé à sa vie personnelle, familiale, professionnelle, amicale. Un moment fort de la vie d’un savant moderne  mais aussi sa vie d’homme tout court et c’est passionnant. C’est un livre qui rend plus intelligent. 

Je le conseille vivement à tous et pas seulement aux forts en maths, bien au contraire!  Voici d’ailleurs un conseil de l’auteur à ce sujet.
 Si vous souhaitez apprendre plus de détails sur le sujet principal de l’ouvrage, à savoir l’amortissement Landau, vous ne les trouverez pas dans mon livre; reportez-vous plutôt à l’excellent article écrit par Clément Mouhot pour le magazine La Recherche et le site de vulgarisation mathématique Images des Mathématiques; ou à la vidéo de la conférence publique que j’ai donnée sur ce thème à l’Institut d’Astrophysique de Paris. Ou, si vous avez fait un tant soit peu d’études supérieures en mathématique, à mes explications plus spécialisées sur le sujet (en anglais; voir en particulier les notes de cours), ou encore à la vidéo d’un séminaire pour physiciens

Voici l’intention de l’auteur en commençant ce livre :
Le vrai héros, en recherche mathématique, c’est le théorème que l’on est en train de démontrer — celui qui nous relie, nous motive, nous fait communiquer. Alors on va prendre le théorème pour héros, et raconter sa naissance, ou plutôt sa genèse, depuis l’idée féconde jusqu’à la mise au jour. Une élaboration souvent chaotique, comme peuvent en témoigner d’innombrables chercheurs. J’en ai choisi un dont la genèse a été particulièrement mouvementée — et déclenchée, comme il se doit, par une coïncidence improbable. Un théorème motivé par un problème à la fois simple et classique, fondamental en physique des plasmas; et qui nous entraîne dans des horizons inattendus. Un travail intense en équipe, avec mon ancien élève et collaborateur régulier, Clément Mouhot.
Autres passages particulièrement appréciés, sans compter les discussions avec les autres chercheurs de Princeton où il était alors et les mini biographies de ceux-ci,  parmi les plus illustres de notre époque.
Chapitre 24 - Princeton, le 24 mars 2009 
Premier séminaire à Princeton. Devant des collègues distingués, précis et surtout devant Elliott Lieb, cordial mais implacable.Si les résultats font leur petit effet, Elliott n'est pas convaincu par l'hypothèse de conditions aux limites périodiques, qu'il considère comme aberrante. 
 - Si ce n'est pas vrai dans l'espace tout entier, ça n'a pas des sens! 
- Elliott, dans l'espace tout entier il y a des contre-exemples, on est forcé de mettre des limites! 
- Oui, mais il faut que le résultat soit indépendant des limites, sinon ce n'est pas physique! 
- Elliott, Landau lui-même le faisait avec des conditions aux limites, et il a montré que le résultat dépendait très fortement des limites, tu ne vas pas dire qu'il n'est pas physicien? 
- Mais ça n'a aucun sens! 
Si j'avais espéré un accueil triomphal, c'est plutôt raté.
Et l'étonnant chapitre 28 consacré aux musiques d'aujourd'hui et de toujours. 
Pour dénicher de nouvelles musiques, il ne faut négliger aucune piste. (...) En recherche, c'est pareil: on explore tous azimuts, on est à l'affût, on écoute tout, et puis de temps en temps on a un coup de foudre et on se lance corps et âme dans un projet, on se le répète des centaines et des centaines de fois, et plus rien d'autre ne compte, ou si peu. Parfois les deux mondes communiquent. Certaines musiques, qui m'ont soutenu pendant le travail, sont pour toujours associées à des moments forts de ma recherche.  
Sans exclure un soupçon d'orgueil ou de fierté nationale, bien compréhensible après tout!  (p.255)
Et par voie de presse, un message officiel de félicitations du président de la République. Comme prévu, Ngö a aussi décroché la médaille (...) Sans compter qu'Yves Meyer a obtenu le prestigieux prix Gauss pour l'ensemble de sa carrière! Les Français vont redécouvrir maintenant que la France est, depuis quatre siècles déjà, à la pointe de la recherche mathématique internationale. En ce 19 août 2010, leur pays ne totalise désormais pas moins de 11 médailles Fields, sur les 53 attribuées à ce jour! 
Et pour finir une autre citation.
Tout mathématicien digne de ce nom a ressenti, même si ce n'est que quelquefois, l'état d'exaltation lucide dans lequel une pensée succède à une autre comme par miracle... Contrairement au plaisir sexuel, ce sentiment peut durer pendant plusieurs heures, voire plusieurs jours. André Weil

Billet de Keisha
 Théorème vivant, Cédric Villani, 
 (Directeur de l’Institut Henri-Poincaré et médaille Fields de Mathématiques en 2010,)
Illustrations de Claude Gondard,
 (Bernard Grasset, 2012, 282 p.)

18 commentaires:

  1. Je ne l'avais pas noté pour tout un tas de raisons... mais je suis prête à revenir sur mes priori après un si bel enthousiasme !

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    1. Je ne m'attendais pas à l'aimer autant d'autant plus que j'ai dû sauter plusieurs pages purement mathématiques mais si tu le lis, tu verras, ce n'est pas gênant!

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  2. Je ne peux pas dire que je suis convaincue (pas sûre du tout que ce soit pour moi) mais voilà un coup de coeur qui m'intrigue parce que je ne l'attendais pas sur un tel thème.

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    1. C'est pour tout bon lecteur, je t'assure. C'est la vie d'un homme très simple bien que très doué, qui se raconte au moment où il travaille intensément sur ce qui va devenir un grand progrès dans la recherche. Une vie de chercheur, bien sûr, mais surtout une vie d'homme et d'homme jeune aujourd'hui. J'avoue ne pas en avoir lu beaucoup de semblables!

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  3. Je suis étonnée moi aussi par ton enthousiasme ! Et ça pique ma curiosité.
    Y.

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    1. Je suis la première surprise, je t'assure! Tu connais mon amour pour les Maths (!!!) Si tu le lis, tu comprendras pourquoi ce livre m'a passionnée!

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  4. Je suis curieux aussi (même si pas très matheux ;))) !!!

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    1. Pas besoin d'être matheux pour aimer ce livre, heureusement, sinon je l'aurais refermé très vite.

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  5. Je note en grande matheuse que je suis :)

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    1. C'est une vie passionnante et l'auteur décrit simplement ce qu'il a vécu et ressenti durant cette période très dense de sa vie professionnelle.

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  6. Je l'ai lu bien sûr (et n'ai rien compris aux pages matheuses, mais ça m'a rappelé mes bouquins de fac, la typographie est du même genre parfois)(mais c'était en français; d'ailleurs notons que l'anglais est devenu le lange commun des chercheurs)
    J'ai vraiment été passionnée par l'histoire d'une recherche.
    Mon billet : http://enlisantenvoyageant.blogspot.fr/2012/11/theoreme-vivant.html

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    1. J'ai ajouté ton lien. Un livre vraiment passionnant. J'ai sauté bien des pages évidemment mais je l'ai lu aussi facilement qu'un roman! Ce sont de tels "savants" qui devraient être médiatisés et non les têtes vides qui viennent se montrer à la télé sans arrêt et qui n'ont rien à dire!

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  7. J'avais vu ce type à la grande librairie je crois. Un sacré déjanté non ?

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    1. Sûrement mais une tête bien pleine aussi! Quelqu'un de brillant mais aussi de tenace, de persévérant, de responsable, de coquet, d'amical. Un peu touche à tout, s'intéressant à la vie autour de lui, pas du tout enfermé dans son monde, sachant prendre des responsabilités et s'investissant socialement, bref, quelqu'un de très fréquentable apparemment! :)))

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  8. "C’est un livre qui rend plus intelligent". Heu...même si on saute toutes les pages dédiées aux maths ? :P

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    1. Même! D'ailleurs c'est ce que j'ai fait , forcément! :)

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  9. Réponses
    1. Ne résiste pas! Tu verras comme c'est intéressant!

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