mardi 13 juillet 2010

Quand l'art et la lecture se tiennent la main

Dans sa nouvelle, La plénitude de la vie ,  Edith Wharton écrit que son héroïne  n’a jamais connu avec  personne   un moment de bonheur comparable à celui éprouvé un soir dans l’église d’Orsanmichele, à Florence


Ce passage m’a intriguée. Je connais  Florence pour y être allée à plusieurs reprises, j’ai visité Orsanmichele, cette église  construite d’abord pour être  un marché de céréales  mais ce tabernacle  du XIVe siècle ne m’avait pas mis dans cet état de quasi béatitude  décrit ici.

C’était une fin d’après-midi pluvieuse de la semaine de Pâques. Le vent a soudain dispersé les nuages et, lorsque nous sommes entrés dans l’église, les vitraux ont brillé comme des lampes flamboyant dans les ténèbres. …Dans l’obscurité chargée d’encens, les cierges scintillaient comme des lucioles…Nous nous sommes glissés sur un banc proche du tabernacle d’Orcagna.



Curieusement, alors que je connaissais déjà Florence, je n’étais encore jamais entrée dans Orsanmichele. Et c’est dans cette lumière magique que j’ai vu pour la première fois les marches incrustées, les piliers cannelés, les bas-reliefs et le dais sculpté du merveilleux autel. Le marbre, usé et patiné par la subtile main du temps,prenait une indicible teinte rosée, évoquant de loin les colonnes couleur de miel du Parthénon, mais plus mystiques, plus complexes…la lumière du Moyen  Âge, plus riche, plus solennelle, plus lourde de sens que l’éclat limpide du soleil de Grèce.


Et assise là, baignée de cette lumière, absorbée dans la contemplation ravie de ce miracle de marbre dressé devant moi, aussi finement travaillé qu’un coffret d’ivoire enrichi de pierres précieuses et d’or  terni, je me suis sentie emportée par un puissant courant dont la source semblait située à l’origine des choses.
Les bosses médiévales du tabernacle d’Orcagna paraissaient se fondre sous mes yeux et retourner à leur forme primitive, dans cette apothéose de la Vierge.


J’entendais les coups rythmiques des artisans dans les ateliers d’orfèvrerie et sur les murs des églises, les cris partisans des factions armées dans les rues, le grondement d’orgue des vers de Dante, le craquement du bûcher autour d’Arnaud de Brescia,le pépiement des hirondelles auxquelles prêchait saint François, le rire des dames écoutant dans les collines les malices du Décaméron, à l’écart d’une Florence frappée par la peste…J’entendais tout cela et bien plus encore, se joignant dans un étrange unisson à des voix plus anciennes, plus lointaines, tendres ou ardentes, mais fondues en une harmonie si inquiétante qu’elle me faisait penser à un chœurqu’auraient entonné les étoiles juste avant l’aurore.
Mon cœur battait à m’étouffer,  les larmes me brûlaient les paupières,  toute cette joie, tout ce mystère m’écrasaient. 

Andrea Orcagna (1308-1368) était peintre,sculpteur, orfèvre, mosaïste . Il anima le principal atelier florentin, après le décès des meilleurs élèves de Giotto emportés par la peste. Selon Vasari, il était la plus forte personnalité de Florence au milieu du XIVe siècle. 
Son œuvre majeure est ce tabernacle monumental qui sert à mettre en valeur le tableau de la Vierge et l'enfant, dernière œuvre du peintre  Bernardo Daddi, 1348.

7 commentaires:

  1. Lors de cette visite, l'héroïne n'avait sans doute pour seule compagne que son imagination. Tant mieux si de tels plaisirs solitaires nourrissent les pages d'un livre, cela donne de jolies phrases à lire ;)

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  2. Cynthia,N'est-ce pas aussi ce qu'on appelle maintenant le syndrome de Stendhal? Après elle se sent très mal!
    Ce passage est le nœud de l'histoire en fait puisque son mari, présent à ses côtés ne pense, lui, qu'à sortir de cet endroit. C'est ainsi qu'elle se rend compte qu'il n'est pas fait pour elle et elle part rechercher sa véritable âme sœur, ailleurs!

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  3. Ah ben tiens tu m'auras appris quelque chose, je viens d'aller consulter la fiche dudit syndrome sur Wikipédia.
    Je n'en avais jamais entendu parler !
    " Ce syndrome est appelé ainsi à la suite de l'écrivain français Stendhal qui a vécu une expérience similaire lors de son voyage en Italie, à l'étape de Florence, en 1817.
    (...)
    "On trouve aussi la dénomination de « Syndrome de Florence » ("Syndrome de Stendhal" étant la dénomination officielle)."

    Voilà qui explique tout, Florence est à déconseiller aux âmes sensibles ;)

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  4. ville que j'aimerai découvrir...

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  5. Lystig, elle en vaut vraiment la peine! C'est un vrai musée à ciel ouvert.

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  6. Bonjour Mango, merci pour cet extrait et surtout merci pour ces photos de Florence. J'y suis allée quelques jours: ville époustouflante de beauté. On s'extasie à chaque détour de rue. Je pense que les plus blasés ne peuvent que s'émerveiller. Bonne journée.

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  7. dasola, c'est vraiment une ville d'art inoubliable!

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