Ce roman est l'histoire de la jeunesse houleuse de l'auteur, de celle, désastreuse, de ses frères, mais aussi et surtout de la génération des soixante-huitards.
C’est une famille unie, aisée, chaleureuse avant 68. Certes le père se montre un peu trop rigide et exigeant aux yeux de ses quatre fils, tous brillants élèves des meilleurs lycées parisiens mais la mère, rieuse, aimante, chaleureuse est un havre d’amour et, comble de bonheur, elle leur offre chaque été des vacances inoubliables dans sa grande famille corse au milieu des oncles, tantes, cousins, cousines et amis divers: un vrai luxe, une belle enfance.
Claude, l’auteur narrateur, le troisième de la fratrie, vivra à fond, dès 12 ans, les événements de 68. C’est un vrai caméléon (titre plus tard d’un de ses livres, prix Femina 2008). Il change de nom, d’apparence, de préférence sexuelle selon les circonstances. Bastien pendant sa période trotskiste, il prend le nom d’Arnulf, en virant maoïste, androgyne, drogué et squatter. C’est sa période hippie et militante. Plus tard, il participera activement à Lutte Ouvrière et connaîtra les grands noms de l’époque, de Sartre à Foucault, Barthes, Guattari et bien d’autres. Il s’invitera même neuf mois chez Frédéric Mitterrand qui programme alors des films d’art et d’essai dans les salles du XIVe.
Qu’as-tu fait de tes frères? C’est la question qui hante tout ce récit dont l'intérêt ne tient pas uniquement au regroupement de souvenirs personnels et politiques mais aussi au constat d’un désastre familial qu’il est tentant d’attribuer à la rigueur éducative du père. La mère meurt d'un cancer au moment où ses fils ont le plus besoin de son influence apaisante. Pierre, l’aîné, qui se destinait à un brillant avenir, arrête brusquement ses études, se clochardise et se retrouve enfermé dans sa folie à l’hôpital où il finit par se défenestrer. Philippe le second, également très doué, se replie sur lui-même et revient de son service militaire dans un état déplorable. Lui-même, ne se sortira de ces années de fureur et d'excès qu’en redécouvrant la littérature et le plaisir d’écrire. Il commence par des biographies: Chamfort, Cocteau, puis par un essai très remarqué: «Qui dit je en nous» , enfin viennent les romans .
Ce livre m'a passionnée. Il m'a fait vivre toute une décennie française parmi les plus marquantes du siècle. Claude Arnaud ne traîne pas et ne cache pas grand chose de ses exploits, de ses joies, de ses espoirs et de ses déconvenues. Il a été un témoin de premier ordre, toujours au premier rang dans l'action mais le recul des années passées le rend critique sur les utopies de cette époque.
Si ses souvenirs sont restés vifs et précis, ses analyses m'ont semblé assagies et pertinentes. Un beau travail d'évocation, toute une époque qui revit.
Ce passé qui s’éloigne aurait fini par me devenir incompréhensible, sous la masse des clichés qu’il a engendrée, sans l’effort de réminiscence que ces pages ont exigé. «Cette réalité que nous risquerions fort de mourir sans l’avoir connue, et qui est tout simplement notre vie» (Proust), seule la littérature pouvait la ressusciter, dans sa vérité quintessentielle, tout intérieure, au contraire des photos et des films, si trompeurs dans leur évidence. Ces années appartiennent à l’Histoire et pourtant leur fraîcheur, leur démesure font encore rêver.
Qu'as-tu fait de tes frères? Claude Arnaud (Livre de Poche, 2012, 379 p)
Site de l'auteur: ICI,
Très tenté, je note (surtout si c'est une édition de poche).
RépondreSupprimerVraiment intéressant pour la période des années 60/70, revue par un de ses participants! C'est bien fait.
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