dimanche 17 février 2013

Je t'écris de Gaston Miron,

I
Je t'écris pour te dire que je t'aime
que mon coeur qui voyage tous les jours
— le coeur parti dans la dernière neige
le coeur parti dans les yeux qui passent
le coeur parti dans les ciels d'hypnose —
revient le soir comme une bête atteinte

Qu'es-tu devenue toi comme hier
moi j'ai noir éclaté dans la tête
j'ai l'ennui comme un disque rengaine
J'ai peur d'aller seul de disparaître demain
sans ta vague à mon corps
sans ta voix de mousse humide
c'est ma vie que j'ai mal et ton absence

Le temps saigne
quand donc aurai-je de tes nouvelles
je t'écris pour te dire que je t'aime
que tout finira dans tes amarré
que je t'attends dans la saison de nous deux
qu'un jour mon coeur s'est perdu dans sa peine
que sans toi il ne reviendra plus

II
Quand nous serons couchés côte à côte
dans la crevasse du temps limoneux
nous reviendrons de nuit parler dans les herbes
au moment que grandit le point d'aube
dans les yeux des bêtes découpées dans la brume
tandis que le printemps liseronne aux fenêtres

Pour ce rendez-vous de notre fin du monde
c'est avec toi que je veux chanter
sur le seuil des mémoires les morts d'aujourd'hui
eux qui respirent pour nous
les espaces oubliés



Je t'écris de  Gaston Miron, (1928-1996), poète canadien, est encore aujourd'hui considéré comme le plus grand poète du Québec contemporain
L'homme rapaillé, les poèmes, (nrf, Gallimard, 1999)

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