lundi 16 septembre 2013

Une langue venue d'ailleurs, Akira Mizubayashi

Voici un auteur  japonais surprenant qui raconte  ce qui fut au centre de sa vie: son amour pour la langue française, cette «langue venue d’ailleurs», apprise à dix-huit ans, grâce à la bienveillance et aux encouragements de son père, à la radio japonaise et au magnétophone  qui lui permettait d’enregistrer les émissions en français. Il se plonge alors dans l’étude de Rousseau sur lequel il fera plus tard une thèse lorsqu’il restera trois ans pensionnaire  à l’École normale de la rue d’Ulm. Auparavant, en 1973, il est à Montpellier pour étudier la langue choisie. Il y rencontre sa femme, Michèle, qui enseigne ensuite, comme lui,  le français au Japon où ils vivent. 

J’ai beaucoup aimé ce récit confidences, fait de passages autobiographiques et de réflexions sur le bilinguisme, l’amour  des mots, la recherche de la perfection à travers une autre langue que la sienne, l’attention intimement porté à une autre culture par le biais de la littérature de ce pays. Mon volume est truffé de Post_it. J'aurais voulu  relever tous les passages ainsi notés mais ils sont trop nombreux. En voici quelques-uns. 

L'enfance.
J'avais été cet enfant qui parlait tout seul dès qu'il n'y avait plus personne autour de lui, poussant des cris bizarres, prononçant des mots adorés, incompréhensibles en général pour les autres. ... Et cet enfant,  devenu adulte, retrouvait, sur le chemin de l'université ou dans le silence bruyant des nuits de Tokyo, cet ineffable plaisir de phonation procuré par la production de vocables nouveaux et ignorés qu'offrait la langue française. J'étais habité par une folie de répétition. 

Été 1974. La thèse sur Rousseau
Parallèlement à l traversée que je tentais dans la forêt rousseauiste, je dévorai des livres de critique littéraire dont on disait qu'ils étaient indispensables. Je lus ainsi: Le degré zéro de l'écriture, Éléments de dsémiologie, certains articles d'Essais critiques de roland Barthes, certains chapitres d'Études sur le temps humain et de Métamorphose du cercle de Georges Poulet, Littérature et sensation de jean Pierre Richard, Figures I et Figures II de Gérard Genette. ce fut enivrement et enchantement. 

Le professeur de français
Oui. Le français est un instrument de musique. C'est le sentiment que j'ai depuis longtemps. Pour devenir un bon instrumentiste, il faut de la discipline, je dirais même de l'ascèse. Et c'est ce que je dis à mes étudiants aujourd'hui: maîtriser le français, c'est en jouer  comme jouer du violon ou du piano. 
Habitué à l'exemple de la musique qui proposait des notions comme "thème, reprise, ou variation", j'étais devenu peu à peu sensible aux phénomènes de "retour du même" dans les lignes que je lisais et relisais à haute voix avec ou sans modèle. 

Ses difficultés: ces choses qui résistent à l'apprentissage. Les expressions "appellatives"
Mon cher cousin, Ma chérie, Ma poule, ma grande,  Mon cher amour, Ma Bibiche, Mon vieux,  Monsieur, Madame.
Avec ma propre fille, avec qui il m'arrive maintenant de converser en français, je n'ai jamais pu utiliser ces formules additives.  ...  Je dirai qu'en dessous de la surface de la langue, quelque chose qui relève de la pudeur ou même de la peur me retient.  

Épilogue
Mais parler, cette étrange manie de l'homme, que ce soit dans votre propre langue ou dans celle qui vient d'ailleurs, n'est-ce pas au fond un acte qui défie la pudeur?  Parler, c'est exposer sa voix nue, dévoiler par sa voix sa manière absolument singulière d'exister, donc s'exposer à nu, une dénudation d'une certaine façon? ... Parler, c'est quelque part résister à la pudeur.

Qui suis-je définitivement: mon présent et mon futur
Je suis étranger ici et là et je le demeure. je revendique sans honte ni tristesse mon étrangéité: ce double statut d'étranger que je porte en moi. ... Avec la meilleure chance du monde, je ferais partie des faux bilingues. Chez eux, c'est la langue adoptive qui meurt en premier. La langue d'origine,  maternelle, demeure, inarrachable. Mon français va donc mourir avant même que ne meure mon corps? Triste vérité. Mais je me considérerai comme mort quand je serai mort en français.


Une langue venue d'ailleurs, Akira Mizubayashi
(Folio, 2011, 263 P.)

6 commentaires:

  1. Il est toujours dans ma PAL, quelle honte !! il faut que je fasse quelque chose ;-)

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    1. Vu ce que dit Keisha, je croyais que tu l'avais lu et j'ai cherché ton billet mais en vain. Il est vraiment intéressant!

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  2. Je ne sais pas si j'accrocherais, ça a quand même l'air très... intime.

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    1. Comme peut l'être le choix et l'apprentissage d'une seconde langue qu'on finit par parler aussi bien que la maternelle! C'est passionnant!

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  3. le titre me plaît énormément, moi qui adore les langues étrangères :)
    donc je note

    HS = la nouvelle bannière est très chouette

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