Seigneur me voici c’est moi
je viens de petite Bretagne
mon havresac est lourd de rimes
de chagrins et de larmes
j’ai marché
Jusqu’à votre grand pays
ce fut ma foi un long voyage
trouvère
j’ai marché par les villes
et les bourgades
François Villon
dormait dans une auberge
à Montfaucon
dans les Ardennes des corbeaux
et des hêtres
Rimbaud interpellait les écluses
les canaux et les fleuves
Verlaine pleurait comme une veuve
dans un bistrot de Lorraine
Seigneur me voici c’est moi
de Bretagne suis
ma maison est à Botzulan
mes enfants mon épouse y résident
mon chien mes deux cyprès
y ont demeurance
m’accorderez vous leur recouvrance ?
Seigneur mettez vos doigts
dans mes poumons pourris
j’ai froid je suis exténué
O mon corps blanc tout ex-voté
j’ai marché
les grands chemins chantaient
dans les chapelles
les saints dansaient dans les prairies
parmi les chênes erraient les calvaires
O les pardons populaires
O ma patrie
j’ai marché
j’ai marché sur les terres bleues
et pèlerines
j’ai croisé les albatros
et les grives
mais je ne saurais dire
jusqu’aux cieux
l’exaltation des oiseaux
tant mes mots dérivent
et tant je suis malheureux
Seigneur me voici c’est moi
je viens à vous malade et nu
j’ai fermé tout livre
et tout poème
afin que ne surgisse
de mon esprit
que cela seulement
qui est ma pensée
Humble et sans apprêt
ainsi que la source primitive
avant l’abondance des pluies
et le luxe des fleurs
Seigneur me voici devant votre face
chanteur des manoirs et des haies
que vous apporterai-je
dans mes mains lasses
sinon les traces et les allées
l’âtre féal et le bruit des marées
les temps ont passé
comme l’onde sous le saule
et je ne sais plus l’âge
ni l’usage du corps
je ne sais plus que le dit
et la complainte
telle la poésie
mon âme serait-elle patiente
au bout des galantes années ?
Seigneur me voici c’est moi
de votre terre j’ai tout aimé
les mers et les saisons
et les hommes étranges
meilleurs que leurs idées
et comme la haine est difficile
les amants marchent dans la ville
souvenez-vous de la beauté humaine
dans les siècles et les cités
mais comme la peine est prochaine !
Je viens d’un pays musicien
liesses colères et remords
amènent les vents hurleurs
sur le clavier des ports
Seigneur ayez pitié !
Extrait de Solo, trouvé sur le site de Stered, l’un des plus beaux poèmes de la langue française. Xavier Grall l’écrit peu de temps avant sa mort, comme un testament et une adresse à Dieu, une prière en sachant qu’il va mourir, et qu’il veut une dernière fois saluer tout ce qu’il a aimé pendant cette vie. Poème magnifique et trop méconnu.
Xavier Grall: Solo et autres poèmes (1981) / Recueil de poésie dont « Solo » est le poème le plus long (environ cinquante pages).
Photographie: Ouest France
Xavier Grall, né le 22 juin 1930 à Landivisiau (Finistère) et mort le 11 décembre 1981 à Quimperlé (Finistère), est un poète, écrivain et journaliste breton. (Wikipedia)
Du 10 au 16 décembre 2011 la ville de Landivisiau organise la toute première édition de Moi les mots, un festival de poésie et d'art d'aujourd'hui. Un événement organisé en hommage à l'écrivain, poète et journaliste Xavier Grall, disparu en décembre 1981...
Voir aussi Landidiblog,le blog de la bibliothèque de Landivisiau. ICI
C'est très beau ce long texte... Un hommage sans amertume sur le parcours d'une vie, de ses passions, des mots, de la Bretagne qui l'ont fait vivre... Merci, MAngo !
RépondreSupprimerAnne, C'est un texte émouvant, découvert pour ce billet, qui me donne bien envie d'aller à Pont Aven où un chemin de découverte lui est consacré et qui semble très beau.
RépondreSupprimerBon dimanche Anne. J'ai du retard dans mes visites de blogs que je compte bien rattraper très vite.
J'aime particulièrement ses poèmes sur la mer. Je ne savais pas qu'il y avait un chemin découverte, idée à creuser ..
RépondreSupprimerAifelle, je l'apprend aussi mais de toute façon, Pont-Aven est un bel endroit avec un passé artistique des plus glorieux!
RépondreSupprimerC'est beau j'aime beaucoup l'avant dernière strophe !
RépondreSupprimerMerci
Pont Aven et ses bonnes galettes et ses peintres j'y suis allée il y a longtemps en 1999 je crois :-)
Bisous Mango
je découvre ce poème,tellement beau et triste et d'une telle profondeur de ce poète errant(l'était-il?) tant ses mots dérivent comme il le disait et me rappelle un autre poète kabyle du du 19 ème siècle, Si Mohand ou Mhand, poète errant que j'ai toujours aimé. Merci Mango de me faire découvrir ce poète, Xavier Grall.
RépondreSupprimerDidi, C'est une région très riche culturellement et belle en plus!
RépondreSupprimerbizak, donnant donnant alors? Je te fais découvrir Grall et toi Mhand que je vais m'empresser de mieux connaître aussi maintenant.
RépondreSupprimerSi Moh ou Mhand était un poète d'une telle envergure qu'il est resté une légende.Il y'a une profusion de poèmes dont quelques uns relatfs à son errance; Ilfaut dire qu'à son époque, il avait tout perdu et était déraciné(la colonisation française est passée par là).
RépondreSupprimerJe cite deux de ses poèmes(fait en kabyle et traduit en français,donc à moindre portée.) :
01)"-Cette fois c'est décidé, je vais partir.
-Amis pardonnons-nous.
-j'ai tout appris de ce pays;
-Je veux faire route vers Tunis
-Y visiter les lieux saints
-Et les sanctuaires Houraoua
-Mon coeur pleure, mon âme est blessée;
-le mal a atteint les chairs vives
-A grand peine je tiens ferme
-Possédés de Dieu et vagabonds
-Saints vertueux
-J'en appelle à vous par tous pays
-Puissances qui faites souffler les vents
-Libérez nos ailes
-Faites-nous neuves conditions"
02)"-Morte est l'aimée sans que nous nous soyons revus
-La mort choisit
-Dieu prend plaisir à nous décevoir
-Terre n'altère pas sa beauté
-Ses yeux d'aigle
-Anges ayez pitié d'elle merci
-Elle ne méprisait pas le pauvre hère
-Fille au grand coeur
-Que la géhenne épargnera.
bizak, C'est superbe, d'une grande envolée lyrique et certains vers me font penser à Villon. !
RépondreSupprimerOh que c'est bien de publier un "post" sur Xavier Grall! On ne parle pas assez de cet immense poète granitique. Merci Mango.
RépondreSupprimerléon, j'espère que ce nouveau festival aura du succès et mettra ainsi plus en lumière ce poète talentueux.
RépondreSupprimerIl y avait beaucoup de monde dans la petite bibliothèque de Landivisiau dimanche après-midi. Jean Albert Guénégan a terminé sa lecture à voix haute par le texte de "Solo", bouleversant.
RépondreSupprimerPau après et dans une autre salle, ce poème était à nouveau récité à quatre voix.Bouleversant!
Depuis dimanche ce poème me hante.
Le festival a bien pris j'ai l'impression! Je suis contente de le savoir et que tu me racontes les moments forts. Comme toi, ce poème me tourne dans la tête maintenant et je le relis souvent l'aimant de plus en plus. Je vais chercher ses livres et surtout lire le poème en entier.
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