vendredi 11 novembre 2011

Une fille occupée, Dominique Conil

L’histoire est loin d’être banale puisqu’il s’agit d’une plongée dans la vie de Ka, une jeune héroïne, occupée /dévorée/ détruite/ravagée par le monde de ses parents et de son frère, tous trois écrivains en puissance. Pour eux l’essentiel de la vie tient dans l’écriture, les livres, les mots, les leurs et ceux des autres.
 Financièrement, en banlieue ouest de Paris, ils ne vivent que grâce à  la plume du père qui écrit des polars à la chaîne, toujours installé au centre du salon et dont le bruit de la machine à écrire rythme toute la vie de la famille.  Le frère aussi, plus tard, publiera à son tour. Quant à la mère, dépressive, elle se contente de lire et d’écrire  sur des feuillets Rhodia  qu’elle détruit aussitôt. 
Se sentant négligée, Ka n’échappe à cette ambiance morbide qu’en fuyant et en s’agrippant au réel. Dans le sud,  elle finit par travailler chez des vendangeurs puis  rencontre Manuel, tour à tour camionneur, cambrioleur,  brocanteur, puis taulard et enfin écrivain à succès. L’écriture rattrape encore et toujours l’héroïne qui, de fuite en fuite, se sent envahie, possédée, comme occupée par toutes les citations, les situations  et  les personnages des grandes œuvres qu’elle connaît par cœur. A la fin, le plus beau passage du roman selon moi, les mots des autres s’emparent de son esprit, court-circuitant ses propres pensées,  à un moment primordial de sa vie.   

Il est des livres graves, douloureux, ambitieux, qui semblent se rétracter plutôt que s’offrir spontanément quand on les ouvre. C’est ainsi que je ressens la lecture de ce récit, difficile d’accès, au style exigeant, que j’ai failli abandonner à plusieurs reprises  mais que je viens de terminer,  soulagée d’en avoir fini avec ces personnages toujours insatisfaits et  cependant admirative de l’habileté de l’auteure pour relancer l’intérêt de son lecteur au bon moment.

«Notre père (…) ne pouvait œuvrer ni coupé du monde, ni dans le bruit du monde. Il lui fallait occuper un espace central,avec vue aérienne sur nos vies. Chez lui, la toute-puissance de l’écrivain avait curieusement dérapé, et il nous préférait en muet, mais sa rage de produire se nourrissait des fureurs que lui inspiraient nos grattements, soupirs, portes claquées, sons cliquetants ou répétitifs.

Nos yeux étaient encore à la hauteur des poignées de porte, mais nous connaissions dix façons d’assassiner proprement. Les meurtres se répétaient d’un bouquin l’autre, comme dans les contes, avec une part raisonnable de monstres et de malheur dans des forêts urbaines obscures. Voilà tout, c’était moins effrayant que ces chansons qui s’interrompaient sur les blocs Rhodia, blanc vertigineux. Le crime s’achevait, lui, prévisible et circonscrit, en page 182. 
La mère lisait tout, les courses, les choses à faire, les gens à appeler, les lettres à envoyer, les dates limites de paiement, les livres à lire, les rendez-vous chez le dentiste, les dates de vaccination, les rappels, la vermifugation du chat, elle notait tout, les poches de ses vestes débordaient de papiers froissés et d’enveloppes timbrées. Et puisqu’elle avait noté, elle oubliait.»
Une fille occupée de Dominique Conil (Actes Sud, février 2011, 200 p)

15 commentaires:

  1. J'ai entendu cette auteur en interview à la radio quand ce livre est sorti et ce qu'elle en racontait m'a beaucoup plu. Je ne l'avais pas noté, c'est chose faite.

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  2. IL atout pour me plaire.
    PS : au passage, un tag t'attend chez moi...

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  3. J'ai déjà eu à faire avec ce genre de livre à la lecture exigeante... J'avoue préférer les lectures qui coule... Cependant la fin d'un livre comme celui que tu décris est souvent une satisfaction...

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  4. Tentant tout de même... Cette histoire m'intrigue, malgré ce que tu peux dire sur la difficulté que tu as eu d'y entrer complètement !

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  5. Cette couverture est trop rébarbative pour moi.

    Je t'ai aussi taguée (peut-être le même tag que Clara, désolée)

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  6. La rencontre avec le camionneur qui devient écrivain, c'est pas un peu trop pour exprimer la fatalité qui pèse dans la vie de cette femme ?

    A priori, ce livre avait tout pour me plaire mais ton avis m'a quelque peu refroidie je dois dire ;)

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  7. Le thème ne me tente déjà pas beaucoup, et ton avis en plus, je passe. Comme Marine Rose, j'ai envie en ce moment de lectures qui coulent plus facilement.

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  8. Ys, Ce livre est sorti en janvier mais depuis je n'en ai que très peu entendu parler et sans sa présence sur la table des nouveautés à la bibliothèque, je ne l'aurais pas lu.

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  9. Clara, Mission accomplie pour le tag!

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  10. Marine Rose, j'aurais préféré aussi car la lecture pour moi est avant tout un loisir divertissement et non la recherche du chef d'œuvre de l'année! J'ai suffisamment donné jusqu'ici pour m'accorder un peu plus de plaisir et moins d'exigence de perfection.

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  11. Noukette, je regrette surtout le manque d'empathie envers les personnages qui me sont restés totalement extérieurs, comme peuvent l'être les insectes pour un entomologiste! .

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  12. Manu, Pas le même puisque les mots ne sont pas semblables. Je vais le faire aussi!

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  13. Cynthia, Tu as choisi un bon exemple. Tout est un peu trop artificiel et exagéré dans ce roman. Dommage car l'idée de départ me plaît beaucoup, comme à toi!

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  14. Aifelle, alors, c'est sûr, ce livre n'est pas pour toi en ce moment.

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  15. Je n'ai jamais entendu parler de ce livre

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