Le journal d’un raté a été
écrit par Edouard Limonov alors qu’il
venait d’émigrer, à 34 ans, en 1975, de la Russie à New York.
Pour gagner
sa vie, il faisait un peu tous les métiers,
de correcteur dans un journal russe à
valet de chambre chez un millionnaire, en passant par garçon de café,
cuisinier, docker, terrassier, etc.
Solitaire, il écrit de courts textes très variés sur ses observations de la journée, ses remarques sur la société, ses
souvenirs, ses pulsions sexuelles, son
besoin de révolte. Il se donne le rôle du vaurien, fier de ses fantasmes de marginal exilé et piégé par une nouvelle société qui le
rejette et qu’il vomit à son tour.
Ce sont ces textes non datés qui ont été publiés en tant que roman, en 1982, en France où il vivait désormais, puis édités à nouveau
en 2011 à la suite du succès du livre d’Emmanuel Carrère sur sa
vie: Limonov.
Le premier est une citation de l'Encyclopedia Britannica concernant les ratés:
Parmi les peuples s'installent généralement des ratés. La grande et vaillante tribu des ratés est disséminée sur toute la terre. Dans les pays anglo-saxons, on les appelle communément des "losers", c'est-à-dire des perdants. (...)A signaler un de leurs traits caractéristiques: les hommes et les femmes de cette tribu qui réussissent renient facilement leurs congénères, ils adoptent les us et coutumes du peuple au sein duquel ils ont fait fortune, et plus rien ne vient alors rappeler qu'ils appartinrent une fois à la glorieuse tribu des ratés.
Pas question de juger l’homme qui
se présente ici: je le détesterais dans la vie courante, très
certainement et c’est ce qu’il recherche,
de toutes façons: la haine, le rejet, la mise à l’écart tout en
aspirant à être admiré et exemplaire
dans le rôle qu’il s’est choisi en littérature: celui du marginal révolté
et rageur, poète maudit à ses heures, tenté par un destin politique actif et extrême.
Ayant lu ce livre le jour des
explosions de Boston, je ne peux éviter ce rapprochement. Violence et carnage.
Haine et destruction. L’horreur absolue.
C’est le paradoxe avec ce livre. Je ne sais pas la part du réel dans ce
qui est raconté ici, dans ce qui se nomme
journal mais aussi roman.
Pour l'apprécier je dois éloigner les aigreurs morales qui me montent aux lèvres, accepter les outrances pour ce qu'elles se présentent et m'évoquent avant tout: une ardeur poétique basée sur la noirceur, le sexe, la violence. Ça brûle et ça glace à la fois. Une beauté diabolique en somme.
J'ai trente-quatre ans et je suis fatigué des relations humainesJ'ai un physique agréable, mais je mords. Attirant et venimeux. Des gens comme moi, il faudrait les fusiller, qu'ils n'aillent pas répandre leur venin. Les Etats ont bien raison, ils s'y prennent même trop tard, il faudrait abattre préventivement les êtres capables de détruire. Je suis un chien enragé.
Pour finir, c'est un de ses derniers textes que je veux surtout retenir, sur la meilleure façon de mourir.
Il faut affronter la mort avec fermeté et en beauté. Posant, provoquant, plastronnant, comme à la fête. Il vaut mieux en sourire.Il le faut, qu'on le veuille ou non, qu'on sache ou pas. Les genoux qui flageolent? Calme-les, bouge un peu, que ça ne se voie pas , et si les larmes te viennent, esclaffe-toi, qu'on croit que c'est du rire.La mort est l'affaire la plus grave. Il faut s'y préparer. Une mauvaise mort peut gâcher la vie la plus héroïque. Si notre naissance ne dépend pas de nous, notre mort, si. L'hystérie, la précipitation sont à déconseiller.Il faut de la mesure. De toute façon on s'en ira. Mais on n'en a jamais envie.Alors va t'en soit avec un air important, sec, mesuré, ou bien mieux, disparais en voyou, en sifflant et en jetant: "Putain d'ta mère!"
Journal d'un raté, Edouard Limonov, Roman, Traduit du russe par Antoine Pingaud, (Les grandes Traductions, Albin Michel, 1982, 280 p.)
J'ai toujours Limonov dans ma PAL, j'ai du mal ! Et c'était un personnage vraiment égocentré pour parler de la façon dont il faut mourir !!! Edifiant...
RépondreSupprimerC'est le premier livre de cet auteur que je lis et je ne sais pas encore très bien quoi en penser. Il peut me séduire et m'irriter tour à tour. Il ne laisse pas indifférent!
SupprimerJe ne sais pas si je serais sensible à ces outrances...en ce moment j'aime davantage la sensibilité, la mesure et la suggestion.
RépondreSupprimerJe ne crains l'outrance en littérature car elle peut être belle mais c'est vrai que mes impressions de lecture, comme toi varient souvent selon les moments.
SupprimerJ'avais noté le Limonov d'Emmanuel Carrère et puis je ne l'ai jamais lu... Peut-être les textes de Limonov, à voir...
RépondreSupprimerBon weekend !
Je préfère généralement les textes à la biographie qui ne me plaît vraiment que quand je me suis fait une idée sur l'auteur mais ici celle de Carrère me semble indispensable.
SupprimerMe plaisent bien ces excentricités. C'est un personnage éminemment détestable mais il a quelque chose dans son écriture qui me séduit.
RépondreSupprimerExactement. M'a fait penser à Bukowski par moments.
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