mardi 19 mars 2013

Philip Roth, Les Faits, Autobiographie d'un romancier


Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de Philip Roth. Il a 80 ans et a décidé qu’à partir de cette date il n’écrirait plus de romans pour s'occuper entre autres  de ses  archives, soucieux de les confier au biographe qu'il s'est choisi, celui de Richard Yates et de John Cheever: Blake Bailey


A cette occasion, Ys  a proposé de lire un de ses livres et j’ai choisi   Les Faits,  son autobiographie  écrite en 1988.
Curieuse entreprise d'aiIleurs que celle de commencer le récit de sa vie en s'adressant tout d'abord  à Zuckerman, son  héros  principal  que l’on retrouve dans une dizaine de ses  romans .  
Après lui avoir exposé ses raisons d’écrire ce livre,  suite à  une longue dépression due à la prise d’un médicament (l’Halcion), il lui demande son avis sincère sur l’utilité d’un tel travail. Parce que Les faits ont compté pour moi plus qu’il ne peut apparaître et parce que je n’ai jamais écrit auparavant sans que mon imagination ait été enflammée par quelqu’un comme toi, Portnoy, Tarnopol ou Kepesh, je ne suis pas vraiment habilité à le dire.

 La réponse  du héros arrivera très naturellement à la fin, longue, circonstanciée, définitive et malicieuse: Cher Roth,  J’ai lu deux fois le manuscrit. Voici la sincérité que tu exiges: Ne le publie pas; tu vaux beaucoup mieux lorsque tu écris sur moi que lorsque tu rapportes ta propre vie avec «exactitude»… Dans la fiction, tu peux être tellement plus véridique sans te soucier tout le temps de ne blesser personne directement.  Tu crées un monde imaginaire infiniment plus excitant que le monde dont il procède … Aujourd’hui, tu n’es rien d’autre qu’un texte en marche.»   


En somme ce que lui reproche son personnage, c’est d’avoir embelli la réalité, de l’avoir adoucie, d’avoir adopté un ton de réconciliation, de gentillesse et d’amour qui ne lui convient pas, parce que , sans bataille, on ne reconnaît plus Philip Roth, ce pourrait être n’importe qui.

Autrement dit, selon lui, l’autobiographie affirmée est plus fictionnelle que la fiction revendiquée. Son principal défaut serait de ne rien apprendre aux lecteurs de ce qui, dans la vie de l’auteur, a fait surgir les personnages  eux-mêmes.
Mais dans cet échange qui doit l’emporter du créateur ou de la créature?  Zuckerman s’incline, sans illusion.  Le livre sera publié. 
Je l’ai trouvé aussi passionnant qu’une histoire imaginaire sauf  que l’auteur en est le personnage qui dit avoir vraiment vécu ce qu’il raconte. Boucle sans fin. Où est la vraie vérité? Dans la vie ou dans l’œuvre accomplie? 
Deux citations:
Dans mes premiers récits d'étudiant, j'avais réussi à emprunter à Salinger sa tonalité nauséeuse et au jeune Capote son arachnéenne vulnérabilité, et à imiter audacieusement mon titan, Thomas Wolfe, aux extrêmes de la suffisance et de l'auto-apitoiement. 
Sur Portnoy et son complexe:
C'était un livre dont le propos n'était pas tant de me "libérer" de ma judéité ou de ma famille (ce que beaucoup de lecteurs croyaient, convaincus par le déballage de Portnoy's Complaint, que l'auteur devait être en mauvais termes avec l'une ou l'autre) que de me libérer de modèles littéraires d'apprenti, particulièrement de la redoutable autorité universitaire de Henry James, dont le Portrait of a Lady avait été virtuellement un guide au moment des premiers jets de Letting Go, te de l'exemple de Flaubert, dont la distante ironie à l'endroit des désillusions, désastreuses d'une provinciale m'avait conduit à feuilleter obsessionnellement les pages de Madame Bovary  pendant les années où je cherchais le perchoir d'où observer les gens dans When She was good.
Philip Roth, Les Faits, Autobiographie d'un romancier , Traduction de l'Anglais par Michel Waldberg (Gallimard, 1988/90, 223 p.)

16 commentaires:

  1. Un tête à tête entre le romancier et son héros, voilà une façon originale de faire un bilan de sa vie d'écrivain.

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    1. oui tout en revenant sur un de ses thèmes favoris: la relation entre la fiction et le réel.

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  2. J'ai découvert Roth avec Némésis et je compte bien lire d'autres titres de ce grand monsieur.

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    1. Tu as bien raison! C'est son dernier livre, non? J'ai lu aussi "Un homme" sur la décadence du corps et la maladie. J'ai très envie de lire Portnoy maintenant que j'avais abandonné plus jeune, je ne me souviens plus pourquoi exactement!

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  3. J'avoue que c'est un auteur avec lequel j'ai du mal. J'ai pourtant lu trois de ses romans, écrits à des moments très différents de sa vie.

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    1. On évolue aussi en tant que lectrice. J'ai eu du mal à le lire au début et maintenant c'est un vrai plaisir et beaucoup d'admiration.

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  4. Zucherman n'est-il pas son double ? (on le trouve dans de nombreux de ses romans)

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    1. Je n'ai pas encore lu de roman avec Zuckerman comme héros mais Roth a souvent dit en effet que c'était son double.

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  5. Se consacrer au problème de ses archives ? Il en a tant que ça ?!

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    1. Sans doute! C'est désormais un vieux Monsieur! Il a déjà confié une bonne partie d'entre elles à je ne sais plus quelle institution ou Université et maintenant c'est à son biographe qu'il les remet. Il a calculé qu'il lui faudrait au moins une dizaine d'années pour écrire l'histoire de sa vie.

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  6. Je ne l'ai jamais lu... et me dis que je devrais commencer... une fois encore !!! parce que bien entendu, tu me donnes envie d'en savoir plus.

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    1. Ce sont des livres très denses et tout le monde s'attend à ce qu'il ait enfin le Nobel!

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  7. J'ai aimé les deux romans de lui que j'ai lus mais les biographies ne m'intéressent que peu, je dois bien l'avouer. Sauf lorsqu'elles sont romancées !

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    1. Je t'assure que celle-ci, fondée sur des faits véridiques naturellement, n'a cependant rien de ce qui peut t'indisposer dans les biographies classiques. Elle a tout d'un roman. Je l'ai trouvé infiniment intéressante. Je regrette seulement de ne pas l'avoir lue dans le texte original.

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  8. Bonjour Mango, je ne savais pas que Philip Roth avait écrit une autobiographie il y a presque 25 ans. Il faut donc qu'il la mette à jour. Je pense qu'il parle de lui-même dans tous ses romans. C'est un écrivain découvert tard que j'apprécie beaucoup. Bonne après-midi.

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    1. C'est vrai qu'on n'en parle pas tellement et je trouve ça dommage parce que,vraiment, elle vaut ses autres romans et les explique en partie aussi. Cette histoire singulière avec ses épouses, par exemple, on le croirait difficilement si c'était une fiction tellement c'est bizarre et complexe!

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