samedi 9 février 2013

Philippe Le Guillou, L’intimité de la rivière


Les plaisirs de la lecture sont parfois  étonnants dans leurs coïncidences. Je viens d’enchaîner deux beaux récits de moins de cent pages chacun évoquant le thème des rivières chères à  leurs auteurs et  liées aux  plus beaux souvenirs de leur pays d’enfance.  Après  Là-bas, les truites, de John Gierach qui sublime les moments de bonheur total passés à la pêche à la mouche tout en prônant le respect et le maintien des coins gardés  secrets d’une  nature encore  sauvage, voici L’intimité de la rivière de Philippe Le Guillou,  célébrant le pays du Faou où il est né, situé au fond de la rade de Brest, près de  la forêt du Cranou et Rumengol, ce grand lieu de pèlerinage pour les ancêtres de toute la Bretagne. Il y célèbre  les sortilèges d’un monde qui continue de vivre,  fidèle aux mythes, aux rites, loin des atteintes d’une modernité ravageuse.  Avec lui, on se  promène dans son village natal, le long de la rivière  intimement associée  à deux figures de femme, sa mère et Annonciat, la noyée d’un jour de grand vent.
Du lieu très précisément localisé,  du passé  familial et régional surgissent des réflexions, des émotions, des envolées d’un lyrisme très maîtrisé que j’ai trouvées très belles. Tout est contraste et opposition: l’appel du  large et celui de la forêt, l’ouverture vers l’ailleurs, la domination marine d’un côté et la clôture de l'autre, celle des moines de l’abbaye de Landévennec,  toute proche, et  leur détachement. 

On est loin d’être seul dans cette remontée de la rivière grâce au  souvenir de nombreux grands auteurs,  de ceux qui ont  également aimé  le mystère d’un monde d’eau et d’ombre.  Sont évoqués  Marcel Aymé et sa Franche-Comté magique, Barbey et ses étangs maudits, l’Argol de Gracq mais c’est surtout Proust  et ses sources de la Vivonne jamais atteintes du côté de chez Swann qui inspire l’auteur. Ce sont toutes ses lectures qui le sauvent dans  le caisson bétonné de l’hypokhâgne rennaise… où l’on se préparait à disséquer les lettres. …Je songeais,  pour ma part, à la NRF, aux écrivains qui aimaient les rivières, à la Vivonne de Marcel, à l’Èvre de Julien, à la Brière de Joris-Karl. Je savais que rien ne me serait facile et c’est à Proust,  à Gracq, à Mandiargues, à Trassard, à Grainville, à ces enchanteurs que je devais de survivre. 

J'ai pris un grand plaisir à lire ce récit  magnifiquement écrit,  entre chant du monde et sentiment géographique par un auteur qui  déclare: Mon enfance fut hantée par le mystère de l'eau.  Je ne résiste pas au plaisir de relever encore quelques autres citations, ne serait-ce que  pour moi, égoïstement, pour les relire plus facilement. 
Dans mon enfance, en ces confins du Finistère, l’eau était l’ultime tentation des femmes. Quand elles n’en pouvaient plus de ces ciels bas et lourds, de leurs existences fades et sans lumière, elles se noyaient dans les étangs, les lavoirs, les rivières.
Les hommes, eux, préféraient l’axe vertical de la pendaison. (p.85) 
Elle est cachée, la rivière, tapie derrière les saules et les aulnes, les herbes, les hautes fougères. On l’imagine avec son bestiaire fantastique, ses anguilles et ses truites enfouies dans les cavités des berges, sous les chevelures d’algues, ses loutres, comme celle qu’on voyait jadis, naturalisée, rue fontaine, dans le capharnaüm drôlatique d’André Breton.  (P41) 
Dans cet horrible quartier du boulevard de Vitré à Rennes, je ne devais de survivre qu’à mes songeries ; j’allais m’alimenter de livres aux Nourritures terrestres chez les étonnantes sœurs Denieul à la voix délicieusemen haut perchée, et je lisais Argol et Les eaux étroites. (p.69)
 L’intimité de la rivière, Philippe Le Guillou, récit, 95 p. (Gallimard, 2011)
Avec ce livre, je participe au Challenge de Lystig sur les régions.

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23 commentaires:

  1. ah je ne l'ai pas vu passé celui là mais je note immédiatement car j'ai beaucoup aimé le roman de cet auteur lu l'an dernier : le pont des anges, beaucoup de finesse et d'intelligence et une belle écriture
    merci de mettre celui là à l'affiche

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  2. J'aime beaucoup les passages que tu cites !!

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    1. Si tu as été étudiante à Rennes, tu comprends alors! Les Nourritures terrestres: quelle librairie!

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  3. De l'auteur j'avais été bouleversée par "fleurs de tempête" mais pour l'instant je n'ai rien lu d'autre. J'y compte bien un jour ou l'autre.

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    1. Je mets immédiatement aussi ce titre dans ma liste!

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  4. J'aime beaucoup la plume de l'auteur et autant les balades du côté de Landévennec et de la forêt du Cranou!

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    1. Ce sont des lieux admirables et moi je garde des souvenirs attendris des pèlerinages à Rumengol!

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  5. Le premier extrait est sublime...je note...meci...

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  6. Un livre qui pourrait vraiment me plaire. L'écriture a l'air si belle !

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  7. Une découverte pour moi, je vais sauter sur ce livre ! Le Faou c'est fou ce que c'est irrigué en effet, la rivière du Faou, l'Aulne, la rade qui s'étire en ria, le canal de Nantes à Brest, des fontaines partout, et c'est aussi un pays accidenté, paradis pour les cyclistes, un pays de légende. Merci beaucoup pour ce bouquin !

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    1. Il est fait pour toi: tu connais bien les lieux et peut-être encore mieux la Recherche!...

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  8. J'avais lu du même auteur "la Consolation" que j'avais vraiment beaucoup apprécié. Je le trouve très brillant. Je note évidemment ce titre. C'est un plaisir de découvrir votre blog.

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    1. Merci. Je note alors "La consolation" pour connaître un peu mieux cet auteur que je découvre seulement maintenant.

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    1. Très personnel en effet mais très travaillé aussi. Difficile de l'oublier!

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  10. Je ne crois pas que ce livre me fascinera et me captivera...

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    1. Je ne chercherai pas à te persuader de le lire alors!

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  11. très tentant, j'aime beaucoup les récits au fil de l'eau, je note !

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  12. Le Faou près de Châteaulin et le canal, les écluses, une partie de ma région !

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