Il est né, j'ai perdu mon jeune bien-aimé,
Je le tenais si bien dans mon âme enfermé,
Il habitait mon sein, il buvait mes tendresses,
Je le laissais jouer et tirailler mes tresses.
À qui vais-je parler dans mon coeur à présent?
Il écoutait mes pleurs tomber en s'écrasant,
Il était le printemps qui voit notre délire
Gambader sur son herbe et qui ne peut en rire.
Il me donnait la main pour sauter les ruisseaux,
Nous avions des bonheurs et des peines d'oiseaux;
Son sommeil s'étendait comme un aveu candide.
Mon oeil grave flottait sur son âme limpide,
Je couvais dans son coeur les oeufs de la bonté,
J'effeuillais sur son front des roses de clarté.
Le silence des fleurs reposait sur sa bouche,
Son doux flanc se gonflait de mon orgueil farouche;
Son souffle était le mien, il voyait par mes yeux.
Son petit crâne avait la courbure des cieux.
Je le tenais des dieux que j'ai conçus moi-même;
C'était le jardin clos où la vérité sème,
C'était le petit livre où des contes naïfs
Me reposaient de l'ombre et des rayons pensifs.
Ses doigts tendres savaient caresser ma misère.
Devant ce front de lait, devant cette âme claire
Mon coeur n'éprouvait point de honte d'être nu,
Mon être était l'instinct dans son geste ingénu,
J'étais bonne d'avril nouveau comme la terre,
Je donnais mes ruisseaux, mes feuilles, ma lumière;
La mort cachait ses os sous les duvets herbeux,
Nous étions le mystère et la vie à nous deux.
Notre âme, au ras du sol mollement étendue,
Était un blé qui berce une vague pelue.
Maintenant il est né. Je suis seule, je sens
S'épouvanter en moi le vide de mon sang;
Mon flair furète dans son ombre
Avec le grognement des femelles. Je sombre
D'un bonheur plus puissant que l'appel d'un printemps
Qui ferait refleurir tous les mondes des temps.
Ah! que je suis petite et l'âme retombée,
Comme lorsque la graine ayant pris sa volée
La capsule rejoint ses tissus aplanis.
Ô coeur abandonné dans le vent, pauvre nid!
Cécile Sauvage (1883/1937) L'Âme en bourgeon, (1910).
"Poétesse de la maternité" pour ce recueil de vingt poèmes écrits pendant qu'elle attendait son premier fils: Olivier Messiaen, le compositeur de musique, auquel ce livre est dédié. Elle y parle sans fard de son expérience intime durant sa grossesse. Son fils en était très fier et écrira plus tard:
"Plus que tous les concerts qui ont jalonné ma carrière, L'Âme en bourgeon est mon plus beau titre de gloire, car il a été fait pour moi au cours de l'année 1908, alors que ma mère m'attendait.Je suis persuadé que cette attente lyrique a influencé ma carrière et ma destinée." (Béatrice Marchal)
Etonnant ce poème, a une époque où les femmes n'étaient pas censées s'exprimer, et surtout pas dans ce sens là ..
RépondreSupprimerOui, elle était une des premières à s'exprimer aussi intimement.
SupprimerBelle façon de fêter à la fois la poésie et la musique
RépondreSupprimerComme le dit Aifelle un poème tout à fait surprenant
Un poème pas si simple que ça en réalité.
Supprimersublime trouvailles merci Mango
RépondreSupprimerBonne après-midi pour ta prestation en public. J'aurais aimé pouvoir aller t"écouter.
Supprimertu pourras me voir bientôt en ligne sur dailimotion
SupprimerUn bien joli poème sur le ressenti d'une femme enceinte et sur la fusion de deux corps !
RépondreSupprimerMerci et bon WE !
J'ai été étonné quand je l'ai découvert. C'était tellement proche de ce que l'on peut ressentir dans cet état.
SupprimerTrès beau poème. Je comprends que son fils ait été profondément marqué par cet hommage !
RépondreSupprimerEn effet! Quel plus beau cadeau pour sa venue au monde?
SupprimerTrès beau portrait de femme qui se dessine là et éclairage inattendu sur le fils...
RépondreSupprimerEt surtout toujours actuel. Il n'a pas vraiment vieilli.
SupprimerQuel texte. Waouu. Je n'ai pas de mot !
RépondreSupprimerJe le garde pour le relire.
Il mériterait d'être mieux connu par les futures mamans.
SupprimerCette mère a su trouver les mots pour parler de la première séparation : lorsque l'enfant, amoureusement "couvé" quitte le corps de la femme... je n'aurais su le dire comme elle, c'est sûr (comment l'aurais-je pu ?) mais la force de ses mots trouve résonance dans mon coeur.
RépondreSupprimerC'est très bien vu: elle a su restituer une partie de ce qu'on peut ressentir dans ces mois-là.
SupprimerAh, que n'entendrais-je ma mère, quand elle me parlait, étant dans son ventre, alors qu'elle avait fait, la pauvre, deux fausses couches avant ma naissance! Merci Mango pour ce doux poème de toutes les mères à tous leurs enfants.
RépondreSupprimerBonjour Bizak! Il faut dire que ces mois-là sont vraiment très intenses et particulièrement bouleversants dans une vie de femme.
SupprimerMerci pour cette découverte !
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