Dans une Chine du sud encore ancestrale du XIXème siècle, deux jeunes filles de villages voisins, nées le même jour, à la même heure, vont devenir des laodong, des âmes sœurs pour la vie entière. L’une, Fleur de Neige, vient d’une famille de mandarins, noble, riche et respectée; l’autre, Fleur de Lis, d’une famille misérable et illettrée mais ses pieds sont d’une beauté remarquable et remarquée qui atteindra la perfection lorsqu’ils seront bandés. A partir de ce moment-là, leur destin bascule. Non seulement elles deviennent amies mais leur affection mutuelle l’emportera sur toutes les autres malgré les hauts et les bas de leur existence. Un long malentendu leur causera longtemps une grande souffrance cependant.
C’est une belle histoire de femmes qui nous est racontée dans ce roman sur fond d’histoire de Chine et de traditions culturelles très particulières comme celle, si douloureuse, des pieds bandés et cassés à six ans et des deux années de souffrances que les petites filles devaient endurer par la suite, sans compter la difficulté de marcher pour ces femmes confinées à vie à l’intérieur de leurs demeures. Les servantes qui, seules conservaient leurs grands pieds, étaient les plus méprisées aussi. C’est pourquoi les mères elles-mêmes tenaient à maintenir cette coutume.
La narratrice, c’est Fleur de Lis, celle qui deviendra la femme la plus respectée de l’endroit, contrairement à toute attente, mais les destins ici se croisent et ne se ressemblent pas: la grande Histoire, celle d’un pays qu’elles ne connaissent pas vraiment, bousculera les vies particulières. Nous sommes dans les années 1850 et la révolte des Taiping contre les troupes impériales oblige les habitants à fuir à pied dans les montagnes et à y rester affamés dans le froid glacial, trois mois durant. C’est un autre épisode qui m’a beaucoup marquée.
Enfin, je retiendrai également un autre aspect très fort de ce livre, c’est l’utilisation, par les femmes de cette région du Hunan, du nu shu, un langage secret, inventé par elles et qui leur restait exclusivement réservé. Elles étaient analphabètes cependant et ne savaient ni lire ni écrire les signes masculins mais elles possédaient leurs propres codes. Elles s’écrivaient ainsi entre elles sur du papier, du tissu ou sur des éventails communs mais comme le tout était brûlé avec leur corps lors des funérailles, il n’en reste pas grand chose et cet aspect reste encore bien méconnu. Je trouve pour ma part cette révélation très étonnante et j’essaierai d’en savoir plus. Y a-t-il eu d’autres exemples ainsi d’écriture et d’alphabet purement féminins ?
Quelques citations dont j’aimerais me souvenir :
Sur une laotong, une amie de cœur à vie.
Elle vous aimait comme une laotong est censée le faire : pour tout ce que vous étiez , et tout ce que vous n’étiez pas. Mais vous raisonniez de manière trop masculine. Vous l’aimiez comme un homme,la jugeant et l’appréciant selon vos critères.
Sur l’écriture féminine, le nu shu.
A l’époque, je n’avais jamais vu un seul exemple d’écriture masculine, aussi m’était-il impossible de faire la comparaison. Mais à présent, je sais que les caractères utilisés par les hommes sont plus épais, chacun remplissant l’intérieur d’un carré, tandis que notre nu shu fait plutôt penser à des pattes de mouche ou aux empreintes que laissent les oiseaux dans la poussière. Contrairement à l’écriture masculine, chaque caractère en nu shu ne représente pas un mot spécifique. Nos signes sont plutôt de nature phonétique. Ainsi, un même caractère peut servir à noter plusieurs mots, dont la prononciation est identique : un seul caractère sert à noter les mots: «paire» et «père», par exemple, mais le contexte permet généralement d’en différencier le sens.On peut l’écrire à l’encre ou au pinceau mais on peut le broder aussi ou le chanter devant un auditoire féminin. Mais il faut avant tout le lire et le conserver en secret. Car les deux règles les plus importantes concernant le nu shu sont les suivantes: les hommes ne doivent jamais apprendre l’existence de cette écriture, ni se retrouver d’une manière ou d’une autre en contact avec elle.Les hommes nous voyaient broder des mots en nu shu sur leurs chaussures et nos carrés d’étoffe, ils nous entendaient psalmodier nos chants et lire nos cahiers de mariage. Mais ils considéraient notre écriture avec condescendance et la jugeaient trop inférieure à la leur pour s’y intéresser.Le système d’écriture des hommes comporte plus de cinquante mille caractères, tous différents les uns des autres, chacun porteur d’un sens ou d’une nuance spécifique. Le nôtre se compose à tout prendre de six cents caractères, dont nous nous servons phonétiquement pour noter environ dix mille mots. Il faut toute une vie d’étude pour apprendre l’écriture des hommes. Nous apprenons la nôtre une fois pour toutes, quand nous sommes encore des gamines.
Fleur de neige , Lisa See, (Flammarion, 2006, 405 pages), Traduit de l'anglais (États-Unis) par Pierre Ménard. Titre original: Snow Flower and the Secret Fan
Lu en Lecture Commune avec Sandrine et Liliba . Autres billets aussi chez Biblioblog, Esmeraldae,
Très intéressant ! En effet, je me suis focalisée sur les pieds et n'ai pas parlé du nushu ni de cette fuite dans les montagnes... et quelles montagnes !
RépondreSupprimerj'ai étudié le mandarin cinq ans, il m'aurait fallu dix années de plus pour le maîtriser (parler et écrit), j'ai beaucoup lu sur le sujet à cette époque. Je note ce livre car m'y replonger me ferait du bien ! Le nu shu (si on traduit cela peut donner Livre des Femmes) était le langage sms de l'époque (raccourci mais l'idée était là !)... Il y en existait un au Japon je crois...
RépondreSupprimerC'est ce que j'aime dans les lectures communes, des billets très différents sur un même livre, beau billet, bravo !
RépondreSupprimerUn livre très intéressant. Le sujet est passionnant. Un livre que je note.
RépondreSupprimerVoilà longtemps que je n'ai pas lu sur la Chine, quand j'étais jeune j'enchaînais les Pearl Buck. Je le note.
RépondreSupprimerA lire ce billet j'ai l'impression de me transporter dans "vent d'est vent d'ouest" de P Buck un excellent souvenir de lecture, je suis comme Asphodèle j'ai étudié le chinois et toute cette civilisation m'attire donc c'est noté !
RépondreSupprimerça avait été un très bon moment de lecture pour moi, découvrir la vie de ses femmes asiatiques au temps des traditions les plus dures
RépondreSupprimerj'avais vraiment adoré ce livre, je l'ai lu d'une traite, impossible de m'en détacher!
RépondreSupprimerJ'aime cette idée de langage secret...
RépondreSupprimer(je crois les doigts pour que les commentaires fonctionnent aujourd'hui :)
Houra! ;)
RépondreSupprimermerci de ce splendide billet déjà a lecture de PIVOINE DE PEARL Buck
RépondreSupprimerpetite jeune fille
et le langage secret et la différence des calligraphe merci de ce cadeau que tu nous offres
à bientôt encore et encore fRankie , je t'embrasse
Désolé de te laisser ceci sur ton billet, demain, je passe mon tour pour la BD du mercredi. à la prochaine!
RépondreSupprimerArsenul
Un titre que j'ai dans ma PAL mais que finalement je pense avoir déjà lu ! Très chouette billet !
RépondreSupprimerliliba,j'ai beaucoup aimé ce roman tout en apprenant plein de choses sur l'histoire et les coutumes de cette région.
RépondreSupprimerAsphodèle, tu as étudié le mandarin? Tu as toute mon admiration: j'ai essayé et abandonné. C'est d'un raffinement extrême et aussi d'une grande complication!
RépondreSupprimerSandrine, C'est tout l'intérêt de ces lectures communes, d'éclairer différemment le récit!
RépondreSupprimerdimitri, un livre si intéressant qu'il se lit très vite.
RépondreSupprimerAifelle,C'est mieux que Pearl Buck que j'ai pas mal lue aussi et que j'aimais bien d'ailleurs, surtout "La mère"!
RépondreSupprimerDominique, toi aussi tu as étudié le chinois? Je n'ai pas poursuivi en raison des quatre tons que je n'arrive toujours pas à bien distinguer. Je n'ai pas l'oreille pour ça. Dommage!
RépondreSupprimeresmeraldae, il y a dans ce livre des épisodes très forts sur la condition des femmes, à cet endroit et à cette époque.
RépondreSupprimerogressedeparis, c'est également l'effet qu'il m'a fait.
RépondreSupprimerherisson08,ce langage secret réservé aux femmes m'intrigue très fortement et je vais me documenter davantage maintenant.
RépondreSupprimerFRANKIE PAIN,c'est vraiment un beau plein d'anecdotes historiques que je ne connaissais pas
RépondreSupprimerArsenul, pas grave! Ce sera pour une prochaine fois, quand tu voudras!
RépondreSupprimerNoukette,un très chouette livre!
RépondreSupprimerUn roman qui m'attire et les sujets qu'il aborde ne peuvent que me séduire.
RépondreSupprimerManu,je suis certaine que tu l'aimerais
RépondreSupprimerCette histoire de langage féminin me tente bien, en tous cas, m'attire; je note, je pense que ce livre a plus d'un intérêt !
RépondreSupprimerje reviens tard mais je reviens car je peux m'abonner aux commentaires blogspot (yeees !). pour répondre à ta question oui, j'ai étudié le pékinois (mandarin "raccourci") en troisième langue au lycée puis jusqu'au DEUG en fac, mais à l'époque, c'était très aléatoire, il aurait fallu 10 ans de Fac pour maîtriser la langue ET l'écriture, mais ça me passionnait et j'ai toujours ce regret de n'avoir pas poursuivi... Quant à Pearl Buck (souvent citée)n pardonnez-moi mais c'est la "Barbara Crtland" de la Chine, sa littérature ne retrace pas vraiment la réalité de la Chine profonde... J'en ai lu aussi !
RépondreSupprimerGéraldine, ce livre est très précieux,à la fois intéressant et instructif.
RépondreSupprimerAsphodèle, Ce doit être passionnant en effet d'apprendre une langue si difficile et surtout de découvrir une autre culture si ancienne et si riche. Je suis bien d'accord avec ce que tu dis de Pearl Buck mais il n'y avait pas le choix actuel quant aux auteurs chinois. J'ai encore son livre: "La mère". Je me demande si je l'aimerais encore.
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